Le Devoir

Sur la route des Roms

Theresa Kishkan puise dans le folklore tsigane pour tisser un roman initiatiqu­e

- MANON DUMAIS

Alors qu’elle faisait des recherches sur sa grand-mère, née en Moravie, la romancière Theresa Kishkan a découvert l’histoire des Roms de République tchèque et de Slovaquie. Lui est alors venue l’idée de s’inspirer de sa propre histoire, de celle de son père, issu de la diaspora de l’Europe centrale, et de la culture rom pour créer de toutes pièces le récit d’une jeune Canadienne fascinée par les origines tsiganes de sa grand-mère, Courtepoin­te.

D’ailleurs, ce roman, campé sur l’île de Victoria dans les années 1970 et conçu en courts chapitres, ne saurait porter titre plus juste, plus approprié. De fait, l’héroïne de Courtepoin­te, qui déteste son prénom peu usuel, Patrin, son patronyme slave, Szkandery, et son teint de gitane, se dévoile par bribes en effectuant des allers-retours dans le temps.

Dans ses souvenirs livrés en délicats fragments impression­nistes revit la figure de son père énigmatiqu­e disparu avec le secret de ses origines: «J’aurais voulu lui crier: “Comment saurais-je qui je suis si je ne sais pas qui tu étais?” Mais je sais qu’il aurait simplement détourné la tête à cette idée, et ma mère se serait mise en colère contre moi pour l’avoir contrarié. »

Employée dans une librairie d’occasion, célibatair­e, solitaire, Patrin est une déception aux yeux de ses parents. Deux éléments viendront perturber sa morne existence et lui donneront la force d’aller à la culture rom dont l’a privée son père et du même coup de s’émanciper: une courtepoin­te héritée de sa grandmère tsigane et la poésie.

Portant l’odeur de fumée rassurante qui flottait chez sa grand-mère, l’étoffe laineuse deviendra pour Patrin le fil rouge la reliant au passé ancestral. Tandis qu’elle s’initie au langage poétique, Patrin trouvera sa principale inspiratio­n dans cette courtepoin­te, imaginant sa conception, jusqu’à ce qu’elle découvre que cette vieille couverture qu’elle reprise minutieuse­ment est elle-même poésie.

«Je me suis rendu compte que les feuilles en loden formaient un motif. Elles n’étaient pas disposées au hasard, même si l’oeil cherchait une certaine géométrie alors que ce motif tenait à autre chose. J’ai esquissé un petit croquis pour essayer de comprendre le dessin. Un croquis, un poème: une ballade dans l’obscurité. »

Mieux encore, cette courtepoin­te s’avérera la clé dans sa patiente quête des origines: «Tu sais quoi? Ce n’était pas une question, mais l’expression d’une découverte. Je pense que cette courtepoin­te est une carte», lui dira Jan, aspirant poète d’origine tchèque.

Sensuel récit initiatiqu­e

Alors que son héroïne se love dans ses souvenirs, transforme le réel en poésie, décrypte les secrets que recèle la courtepoin­te, Theresa Kishkan tisse soigneusem­ent le sensuel récit initiatiqu­e d’une jeune fille naïve qui s’ouvre sur le monde en découvrant les horreurs de la guerre et le sort tragique des Roms au gré d’un voyage derrière le rideau de fer.

Des éclats de souvenirs de Patrin, tantôt douloureux, tantôt heureux, lesquels épousent les méandres complexes d’une pensée en ébullition, la romancière tire un portrait nuancé d’une artiste en devenir, doublé d’un récit émouvant sur la filiation et sur le devoir de mémoire.

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L’auteure tisse le récit initiatiqu­e d’une jeune fille qui s’ouvre sur le monde.
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★★★ 1/2 Theresa Kishkan, traduit de l’anglais par Annie Pronovost, Marchand de feuilles, Montréal, 2018, 211 pages
Courtepoin­te ★★★ 1/2 Theresa Kishkan, traduit de l’anglais par Annie Pronovost, Marchand de feuilles, Montréal, 2018, 211 pages
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