Le Devoir

L’autre femme qui fuit

Quelques lieux de Constance sonde la réelle nature des liens filiaux

- DOMINIC TARDIF COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

«Il n’est pas trop tard pour apprendre à distinguer la liberté de l’art de la fuite, se dit-elle en éteignant les lumières.» Elle, c’est Constance, et cette pensée tient sans doute davantage du voeu que de la conviction profonde, même s’il est plus que temps que cet inapaisabl­e appel de l’ailleurs cesse de la tarauder. Prendre l’avion comme un taxi pendant vingt ans, ça finit par user.

Quelques lieux de Constance, premier livre de la Montréalai­se Catherine Lavarenne, tient tout entier dans sa couverture et dans sa mosaïque de cartes postales, au coeur de laquelle s’ancre et se dissout à la fois l’identité de son personnage-titre, qui ne sait vivre qu’en s’esquivant. Que les contours de cette musicienne rapatriée au chevet de sa mère mourante demeurent longtemps flous aux yeux du lecteur tombe ainsi sous le sens. De quel instrument joue-telle? A-t-elle un amoureux? Pourquoi se montre-t-elle si distante? Même son entourage semble avoir renoncé à percer son mystère.

Ce que l’on sait: son frère n’est pas son frère biologique et sa fugue, enfant, pendant un voyage scolaire à Boston, aura irrémédiab­lement transformé la vie de sa famille. Mais pourquoi peine-t-elle autant à apposer sa signature sur le papier qui permettrai­t au corps médical de débrancher sa maman ? Mystère encore.

À quoi tiennent les rapports de bienveilla­nce tissant la toile de cette abstractio­n communémen­t appelée société? Sur quoi repose une relation parent-enfant? L’ADN ou l’amour? Ces questions graves, bien qu’elles semblent chères à Catherine Lavarenne, n’apparaîtro­nt comme telles que dans la deuxième partie, plus lyrique, de Quelques lieux de Constance, salvateur miroir de tous les éléments mis en place, plutôt banalement, au cours des chapitres précédents.

C’est lorsqu’elle s’accroche à cette Madame Padoie, une étrangère confuse qu’elle croisera à l’hôpital, ou lorsque les circonstan­ces de son adoption seront évoquées, que Constance s’incarnera réellement. Ce que souhaite nous dire l’auteure se révélera aussi plus clairement, mais avec un peu de retard.

Comme c’est le cas de beaucoup de brefs romans québécois paraissant ces jours-ci, les défauts de Quelques lieux de Constance tiennent donc moins à la réelle qualité de son texte qu’au genre dans lequel il aspire à s’inscrire. Avec ses personnage­s rapidement esquissés, ses nombreuses ellipses et une conclusion au ton cousin de celui d’une chute, cette histoire semble souvent flotter à l’intérieur de vêtements trop amples pour elle, alors que le genre de la nouvelle tolère par exemple davantage que des fils demeurent en suspens.

« Les déménageme­nts devenaient de plus en plus faciles, puisqu’elles avaient de moins en moins de boîtes à transporte­r», souligne la narratrice de Catherine Lavarenne en racontant l’enfance précaire de Constance. Sa conclusion aussi lumineuse que douce-amère rappelle au contraire qu’il est plus aisé de s’envoler pour qui sait placer une part de l’affection de ses proches dans ses valises.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR La Montréalai­se Catherine Lavarenne signe son premier livre.
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★★ 1/2 Catherine Lavarenne, Héliotrope, Montréal, 2018, 168 pages
Quelques lieux de Constance ★★ 1/2 Catherine Lavarenne, Héliotrope, Montréal, 2018, 168 pages

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