Dans la tête d’un décorateur
Que se passe-t-il entre les deux oreilles des marginaux ? La poète Laurance Ouellet Tremblay (Était une bête, Salut loup !) esquisse dans Henri de ses décors une ensorcelante réponse camouflant sous le vénéneux babil de son narrateur aussi aimable qu’insupportable une invitation à l’empathie. Créateur des décors et des costumes d’une compagnie de théâtre, Henri trimballe partout en ville un chariot, qu’il remplit des journaux d’hier cueillis chez de généreux marchands, matière première de ses oeuvres.
Voilà pour l’anecdote, qui importe assez peu, tant ce bref récit n’est qu’un prétexte permettant à son auteure de donner corps au fascinant monologue intérieur d’un homme pour qui le langage tient à la fois de l’arme avec laquelle se faire violence et de la bouée lui permettant de s’accrocher au monde, qui le rejette. «Voyez-moi en format réduit, perché sur votre épaule, petit oiseau teigneux bien décidé à vous faire peser le poids de son malaise», suggère ce perdant parfois magnifique, mais aussi parfois parfaitement mesquin, généreux parano au grand coeur et à l’esprit constamment agité. Un trou dans la tête Bien qu’il s’agisse du premier texte de prose narrative de Laurance Ouellet Tremblay, cet exercice difficilement définissable demeure le livre d’une poète élaborant des images vertigineuses, capables de longtemps vous troubler. Observez un peu Henri se forer la caboche à l’aide d’une petite cuillère à pamplemousse, après qu’une collègue lui eut intimé de se « creuser la tête ».
En refusant d’idéaliser ou de gommer cet écart séparant son personnage principal de ce qu’il conviendrait d’appeler la réalité, Henri de ses
décors propose un contre-discours profondément littéraire à celui, lénifiant, des campagnes de sensibilisation laissant entendre que toute forme d’aliénation ou de maladie mentale se soigne. La folie est un état parfois irrémédiable et fécond, dont la complexité ne saurait être réduite à des slogans ou à des diagnostics.