Le petit homme et la mer
Quelque part, une mère raconte une histoire à son petit garçon de six ans, sous la forme d’une berceuse sophistiquée.
Une histoire où des ouvrières d’une usine de préservatifs, violées par des marins allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, prennent en main leur destin sans hommes et décident de rendre des coups.
À l’âge de quinze ans, en 1958, Tod — qui signifie «mort», en allemand — sera repêché par une sorte de navire-pirate et son équipage de femmes vengeresses. Des femmes en marge qui exploitent et mutilent les garçons orphelins qu’elles trouvent.
Cette histoire complexe de vengeance féministe et de cruauté renversée, Isabelle Jubinville la campe dans un drôle de monde post-apocalyptique, en un lieu indéfini, quelque part entre le nord et le sud, l’ouest et l’est. On y retrouve des cimetières marins, des plantations d’hévéas, un sous-marin fantôme, un peu de cannibalisme.
On y lira une sorte d’allégorie diffuse, où la mer et les mères, en réalité, en viennent à dévorer tout ce qu’elles bercent: «Mon pauvre fils! La mer étouffe avec ses grands bras les garçons et c’est pour ça que les mamans n’aiment pas qu’ils l’approchent.» Telle une mère qui cherche à effrayer son enfant pour mieux le garder près d’elle.
Premier roman d’Isabelle Jubinville, née en 1975 à Shawbridge,
Cruelle berceuse est structuré en 19 chapitres, qu’on nous présente plutôt comme des « chants ».
Dans une langue recherchée — quel enfant de six ans comprend des mots comme «pupulement», «lamaneur» ou «céruléen»? —, l’auteure a construit un univers maritime à l’exotisme flou et bigarré, aussi difficile à saisir qu’une poignée de varech. Et sous les artifices, malgré quelques images intéressantes, le roman porte surtout la marque de l’effort et de la fabrication.