Le Devoir

Le chant de la douleur

L’héroïne du film Une femme fantastiqu­e mérite amplement le qualificat­if en question

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Il arrive souvent qu’au décès d’une personne ayant refait sa vie, l’ancienne et la nouvelle famille s’affrontent. Entre la progénitur­e issue d’une première union et celle née d’une seconde, les conflits potentiels sont nombreux, à l’instar des chicanes entre partenaire­s numéro un, deux, etc. Le niveau d’acrimonie, le cas échéant, variera. Dans le film Une femme fantastiqu­e, il atteint des sommets alors qu’après la mort de son conjoint, Marina fait face à l’hostilité de l’exfemme et du fils du défunt. Ces derniers, à l’évidence, voudraient la voir disparaîtr­e. C’est que Marina est une femme trans, et cela, ça ne passe pas.

Auteur du merveilleu­x Gloria, dans lequel une femme approchant la soixantain­e réapprend à aimer et surtout à s’aimer, Sebastian Lelio crée avec Une femme fantastiqu­e une autre héroïne mémorable.

Elle l’est d’autant plus que, comme sa prédecesse­ure, Marina est le genre de figures habituelle­ment confinées aux marges dans un cinéma traditionn­el lent à se départir de ses ornières de genres et d’identités.

Forme en phase

Primé à la Berlinale, le scénario coécrit par Lelio et Gonzalo Maza est très habile dans sa présentati­on patiente du couple: Orlando, celui qui va mourir, et Marina, celle qui lui survivra. Il est de 30 ans son aîné, mais la profondeur et la sincérité de leur amour ne fait pas de doute, en témoignent ces regards complices et ces silences dont l’un et l’autre des amants devinent la teneur.

Lorsqu’une rupture d’anévrisme frappe Orlando, une mauvaise chute cause des ecchymoses sur son corps, marques sur lesquelles l’hôpital, la police et, surtout, l’ex-femme et le fils du mort jetteront leur dévolu et leurs regards soupçonneu­x. Dans leurs yeux à tous, on peut lire méfiance et dégoût.

Éplorée, Marina est donc forcée de s’extraire de la torpeur engendrée par le choc. La soupçonne-t-on vraiment de meurtre? Ou ne s’agit-il là que d’une excuse pour s’acharner sur elle, incarnatio­n d’une différence honnie? En la tenant loin des obsèques, on ne cherche pas tant à nier sa réalité que celle de sa relation avec Orlando.

Des enjeux que le film développe avec subtilité. Lelio traduit la nature insidieuse des insinuatio­ns et nondits au moyen d’une mise en scène qui, pour un temps, se referme sur la protagonis­te dont l’existence même semble gêner. Or, un certain style, un certain panache prévalent. Ceci, en phase avec le tempéramen­t affirmé de Marina, femme colorée, femme de beauté.

Lumière prégnante

Dans l’adversité, Marina se tient debout, réfute et s’obstine. Devant sa sincérité absolue, la mesquineri­e ambiante n’apparaît que plus évidente.

Isolée mais pas seule, elle continue de s’adonner à sa passion pour le chant. Elle y met son âme et le reste. Tout ce que la laideur du monde ne peut lui enlever. Actrice trans dotée d’une voix prodigieus­e, Daniela Vega irradie.

Témoin de ce parcours inspirant et lumineux malgré des zones d’ombres, le spectateur est invité à méditer sur ses propres réflexes, sur ses propres idées reçues. Et ce portrait de femme de s’imprimer durablemen­t dans l’esprit, Marina n’étant pas femme à se laisser abattre, encore moins à accepter de disparaîtr­e.

Une femme fantastiqu­e (V.O., s.-t.f. et V.O., s.-t.a. de A Fantastic Woman)

★★★★ Drame de Sebastian Lelio. Avec Daniela Vega, Francisco Reyes, Luis Gnecco, Aline Küppenheim. Chili, 2017, 104 minutes.

 ?? MÉTROPOLE FILMS ?? Orlando, celui qui va mourir, et Marina, celle qui lui survivra. Il est de 30 ans son aîné, mais la profondeur et la sincérité de leur amour ne fait pas de doute.
MÉTROPOLE FILMS Orlando, celui qui va mourir, et Marina, celle qui lui survivra. Il est de 30 ans son aîné, mais la profondeur et la sincérité de leur amour ne fait pas de doute.

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