Dieu à volonté
All You Can Eat Bouddha cultive mystères et allégories en formule tout-inclus
Sur une île tropicale anonyme, le personnel d’un complexe hôtelier se prépare à accueillir un nouvel arrivage de touristes. Le ton obséquieux, le maître d’hôtel répète sa litanie de bienvenue. L’exercice terminé, ses traits reprennent un air impassible. Ou vaguement inquiétant? Dernier à descendre du car de visiteurs, Mike, la ventripotence déprimée, se distingue d’office de la horde en mal de bronzage. Derrière sa mine larguée et son prénom banal, un mystère sommeille. En ce contexte prosaïque de «tout-inclus», All You Can Eat Bouddha exsude un charme surréaliste inattendu.
Tour à tour envoûtant et frustrant, à dessein, ce premier long métrage de fiction de Ian Lagarde annonce de belles et bonnes choses. Réalisateur de plusieurs courts métrages, Lagarde est en outre un directeur de la photo émérite. Il a notamment signé celle de Vic + Flo ont vu un ours de Denis Côté et, bien que leurs deux intrigues n’eussent rien à voir l’une avec l’autre, All You Can Eat Bouddha partage avec ce film un décalage par rapport au réel où sourd une tension indicible.
Déité désignée
De fait, on sent que quelque chose se trame, à l’hôtel Palacio. Pourquoi cette femme de chambre fixe-t-elle l’océan étale, comme dans l’expectative ? Que veut dire le gérant lorsqu’il évoque cette rumeur de «nouvelle administration»? Surtout, pour quelle raison Mike paraît-il agoniser alors qu’il passe le plus clair de son temps à s’empiffrer au buffet?
Mike qui, d’un murmure, d’un geste, s’avère capable d’accomplir des miracles, mettant tout un chacun en pâmoison. Déité désignée, Mike mange, mange et mange encore entre deux prodiges, lui-même semblant attendre quelque chose. La mort? La vie éternelle?
Autour de lui, le Palacio cède à la décrépitude. Et Mike d’enfourner avec un appétit égal des denrées désormais faisandées.
Comme une transe
All You Can Eat Bouddha, le titre est éloquent, se veut, entre autres pistes de lectures une allégorie d’un monde qui court à sa perte ad infinitum, avec à chaque ère ou «administration», un « buffet » de divinités de pacotille.
Le film distille avec patience sa charge hypnotique. Tout en langueurs et en zooms lancinants, la mise en scène forge une atmosphère énigmatique prenante. La déclinaison en des variations subtiles de certaines images, voire leur répétition tels des motifs, induit presque une transe.
En dépit d’un tout petit budget, Ian Lagarde insuffle ambition et audace à sa proposition. Avec une assurance visuelle qui force souvent l’admiration, le cinéaste multiplie les passages insolites et les séquences à teneur ambiguë.
De prime abord insaisissable, et sans doute davantage destiné aux cinéphiles avertis, son All You Can Eat Bouddha se révèle, à terme, étrangement fascinant. Comme Mike.
All You Can Eat Bouddha (V.O.F.)
★★★★ Drame surréaliste de Ian Lagarde. Avec Ludovic Berthillot, Yaïté Ruiz, David La Haye, Sylvio Arriola, Richard Jutras. Québec, 2017, 85 minutes.