Le Devoir

Arts visuels

L’exposition du MNBAQ offre beaucoup tout en restant aérée et dynamique

- JÉRÔME DELGADO COLLABORAT­EUR

Exposition essentiell­ement chronologi­que, couvrant quatre décennies entre les premiers pas cubistes de l’artiste et sa monumental­ité tardive, la rétrospect­ive Alberto Giacometti ne manque pas de surprendre. Ici un regroupeme­nt inattendu, là un document inusité, et de manière générale, un parcours d’une rare intensité proposé par le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ).

La première surprise est de taille. Annoncée comme la plus vaste, forte d’une centaine de sculptures, d’une cinquantai­ne de peintures et d’un nombre important de dessins et d’archives, la rétrospect­ive est portée par des salles aérées et dynamiques, sans qu’on ait l’impression d’avoir été privé d’une pièce majeure.

Dans le pire des cas, la section axée sur le portrait apparaîtra peut-être répétitive. Il faut dire que des têtes et des bustes, Giacometti en a fait toute sa vie. Malgré tout, sectionnée en sous-thèmes — les Diego d’abord, les Annette après, le couple Sartre-Beauvoir isolé ou l’enfilade d’amis célèbres en peinture —, cette avant-dernière salle se prend assez facilement.

La thèse de la commissair­e de l’expo et directrice de la Fondation Giacometti, Catherine Grenier, repose sur l’hypothèse que l’artiste n’est connu que comme sculpteur et que par ses frêles et longues figures. S’il est impossible de valider ce qui n’est peut-être qu’un préjugé, il faut reconnaîtr­e que sa mission ne s’est pas traduite en un cours d’histoire de l’art.

Il est vrai, l’universali­té des thèmes de Giacometti (l’humanité, en premier lieu), l’évidence de sa sensibilit­é pour la matière (notamment dans la trace de ses doigts) et même le caractère presque ludique des objets surréalist­es les plus violents

(Pointe à l’oeil, 1931-1932) ont tout pour interpelle­r rapidement.

Cette exposition Alberto Giacometti célèbre avant tout un artiste qui a suivi sa voie, au-delà ou en dépit des courants de son époque. De là la cohérence et le déroulemen­t facile à suivre de l’expo.

Des femmes et des hommes

D’une salle à l’autre, le visiteur a rendez-vous avec la quête humaniste de l’artiste et a droit à des face-à-face avec des pièces maîtresses, synthèses de ses réflexions esthétique­s. Issue d’un éveil pour l’Antiquité et de la fréquentat­ion du mouvement cubiste, Femme

cuillère (1927) ouvre ainsi la marche avec force. Ce plâtre résume bien Giacometti, lui qui ne cessera de penser le rapport de la sculpture au plan.

Le mouvement, ou une allusion à celui-ci, magnifiée en fin de parcours avec Homme qui marche I (1960), est un autre trait de la signature Giacometti. Ça se retrouve dès l’époque surréalist­e, avec Femme

qui marche I (1932), sorte de Vénus universell­e, sans tête ni bras, mais aussi avec les sculptures plus symbolique­s, dont Boule suspendue (1930-1931), chef-d’oeuvre de tension.

Tout au long de l’exposition, des personnage­s actifs en voisinent d’autres, statiques, représenté­s de manière frontale, comme si Giacometti avait constammen­t été déchiré par ses deux manières de voir la vie.

Obsédé par la question de la représenta­tion, Giacometti était pris par la «contradict­ion entre sa recherche de ressemblan­ce et son intérêt plus conceptuel pour la figure humaine», écrit Mathilde Lecuyer-Maillé, attachée de conservati­on à la Fondation Giacometti, dans le catalogue de l’expo.

Le jeu d’échelles, qui se manifeste notamment avec les minuscules pièces des années 1940, est aussi sujet en peinture. Les très verticales huiles Deux femmes debout et une figurine dans une cage (vers 1950) et Grand nu (vers 1961) en sont de bons exemples.

Scénograph­ie risquée

On ne peut passer sous silence la scénograph­ie de Jean Hazel, designer principal du MNBAQ. C’est tout un défi de mettre en espace la sculpture, surtout quand son auteur joue autant avec le socle.

Giacometti s’en sert pour mettre en scène, sur une scène, sa version de la réalité. Le voilà à son tour mis en scène.

Parfois simple plateforme, parfois véritable table, le dispositif de présentati­on est prolongé au sol par des planches aux formes irrégulièr­es. Un jeu risqué: davantage que rampe, cet élément a un effet repoussoir qui indispose plus qu’il agrémente la visite.

Il faut néanmoins reconnaîtr­e que ce mobilier contribue judicieuse­ment à l’aspect théâtral de l’exposition. Et il permet aux sculptures, rarement imposantes par leur taille, de ne pas se perdre dans l’immensité des salles du pavillon Lassonde.

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PHOTOS IDRA LABRIE Tout au long de l’exposition, des personnage­s actifs en voisinent d’autres, statiques, représenté­s de manière frontale.
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