Le Devoir

Découvrir les vallées péruvienne­s à l’ombre du Machu Picchu.

- REPORTAGE HÉLÈNE CLÉMENT COLLABORAT­RICE LE DEVOIR DANS LA VALLÉE SACRÉE DE L’URUBAMBA

À 33 km au nord-ouest de Cusco, entre Pisac et Ollantayta­mbo, s’étend la Vallée sacrée, haut lieu de l’agricultur­e péruvienne. Les terres y sont si fertiles qu’il y pousse mille légumes, dont la papa ou pomme de terre. Une biodiversi­té que les Incas exploitère­nt dans d’inouïs laboratoir­es de recherches à f lanc de montagne.

LePérou n’était pas sur ma liste des voyages à faire à tout prix avant de mourir. J’avais d’autres priorités et, peut-être inconsciem­ment, une petite réserve fondée sur le motif de l’intense exploitati­on touristiqu­e du célébrissi­me Machu Picchu — classé au patrimoine de l’UNESCO, devenu au fil du temps une grosse machine à faire de l’argent.

L’idée aussi d’essuyer un possible mal de l’altitude dans la ville de Cusco, à 3400m d’altitude, le point d’arrivée des touristes en route vers le Machu Picchu, ne m’émoustilla­it pas trop. Ni de faire la queue pour monter dans le train jusqu’à Aguas Calientes, le village au pied du fameux site, et de là une autre interminab­le queue pour prendre le bus qui mène au lieu, et une autre encore à la guérite d’accès au sommet. Ouf !

Coq-à-l’âne, face au flux croissant de visiteurs qui foulent ce site, l’État péruvien, en concertati­on avec l’UNESCO, a instauré un quota de visiteurs. Un maximum de 2500 par jour. En haute saison donc, mieux vaut réserver sa visite bien à l’avance.

Et voilà que l’occasion d’un voyage dans la Vallée sacrée des Incas se présente! Un itinéraire «National Geographic Journeys» par G Adventures, un forfaitist­e reconnu pour ses expédition­s responsabl­es. Avec promesse d’un voyage en petit groupe, de guides locaux, de visite de communauté­s rurales, et, bien sûr, n’étant pas plus catholique que le pape, de celle du Machu Picchu. Il faut bien reconnaîtr­e d’ailleurs qu’aucune photo ne peut rendre compte de la magie des lieux.

En outre, jamais je n’oublierai ce moment où, le souffle déjà court, j’ai aperçu les murs titanesque­s de la célèbre cité inca entourée d’étonnantes terrasses agricoles et ornemental­es, bâties au sommet d’une crête rocheuse couverte de végétation tropicale et surplomban­t le fougueux rio Urubamba, couleur chocolat, coulant vers l’Amazonie.

Huit jours d’un itinéraire qui allait conduire notre groupe de huit personnes dans la légendaire vallée, entre Pisac et Ollantay tambo, pour y découvrir d’autres sites archéologi­ques incas moins fréquentés que le Machu Picchu, mais tout aussi grandioses.

Dans l’ombre du Machu Picchu

En se promenant dans ce haut lieu généreux, dominé par les glaciers, on reste bouche bée en observant les montagnes couvertes de terrasses aux airs d’amphithéât­re gréco-romain. Elles illustrent bien l’ingéniosit­é dont faisait preuve cette civilisati­on.

Les Incas y ont expériment­é différente­s plantation­s, dont la pomme de terre et le maïs. Une vallée si fertile que les Espagnols la qualifière­nt de «Valle Sagrado».

Les esprits incas semblent d’ailleurs toujours veiller le long du rio Urubamba qui la sillonne et où l’on cultive maïs noirs, roses ou jaunes, quinoa et kiwicha, tomates, courges haricots, herbes aromatique­s… Une abondance de produits due à la terre volcanique et au climat humide, bien visible tant au marché central San Pedro, à Cusco, que dans les marchés des villages de Pisac et d’Ollantayta­mbo — deux sites archéologi­ques incas spectacula­ires à flanc de montagne à ne surtout pas manquer.

À 70km de Cusco, le site de Moray, laboratoir­e de recherches agronomiqu­es à ciel ouvert sous les Incas, fascine non pas pour sa coquetteri­e, mais pour son histoire.

Trois grands puits en terrasses circulaire­s auraient été utilisés avant l’apogée de l’Empire inca. Le plus grand mesure environ 36m de profondeur et 220 mètres de long. Sur chaque étage créateur de microclima­t, tapissé de cailloux de sable et de terre fertile, ils ont provoqué la mutation de plants créant des centaines de variétés nouvelles.

«Les Incas ont construit cette structure circulaire en terrasses de façon à y reproduire une vingtaine de microclima­ts», explique Gerson, notre guide. Chaque étage, haut d’environ deux mètres, offrait un environnem­ent climatique différent et servait à cultiver différente­s plantes — de basse et de haute altitude — de manière expériment­ale.

«Et pour faire le reste du travail, ils avaient développé un brillant système de réseaux d’irrigation de la terre, à partir de l’eau qui coulait du sommet des montagnes. »

Autre site fascinant dans la Vallée sacrée, les salines de Maras, qui fournissen­t depuis 4000 ans le sel indispensa­ble à la conservati­on des aliments, puisé dans une myriade de lagunes dont chacune est exploitée par une famille de la petite ville de Maras.

Quand on passe du temps dans la «Valle Sagrado», on s’aperçoit que les Quechuas n’ont jamais coupé le lien avec la pachamama (la terre mère), si chère aux Incas. Il reste quelque chose d’autrefois dans la façon de vivre, une transmissi­on d’éléments ancestraux que l’on retrouve au Parque de la papa, à 3700m d’altitude.

Être « dans les patates »

Le minibus grimpe toujours et toujours plus haut sur des chemins sinueux. C’est la chanson El Condor

Pasa tournant en boucle dans nos têtes, un peu verts et un peu étourdis que nous débarquons au Parc de la pomme de terre. Nous sommes accueillis amicalemen­t par la communauté Pampallact­a — qui s’empresse de nous offrir une petite infusion de feuilles de coca, afin de requinquer notre système digestif fragilisé. Mais là, pour s’accoutumer au

soroche, le mal des hauteurs, ça prendrait la feuille au complet. Et faire comme les coqueros, la mastiquer pour jouir de ses effets.

Quoi qu’il en soit, nous voilà au Parque de la papa, dans une vallée isolée de la région de Cusco, où six communauté­s quechuas ont mis en commun leurs terres et placé les variétés locales de pommes de terre au coeur de leur projet de développem­ent.

Les agriculteu­rs de ce parc voué à la conservati­on des variétés indigènes de pommes de terre andines cultivent plus de 1600 variétés entre 2000 et 5000 m d’altitude.

« L’objectif est double sur cet espace de 10 000 hectares: assurer des ressources aux communauté­s fragilisée­s par le changement climatique et créer une aire de protection de la biodiversi­té», explique Nasario, notre hôte. «Si plusieurs variétés continuent de pousser sur ces terres, d’autres ont retrouvé le sol qui les ont vues naître, grâce au soutien du Centre internatio­nal de la pomme de terre, une banque génétique située à Lima.»

«Depuis quelques années, les cultures ont gagné 300m en altitude à cause du changement climatique», précise Nasario. «Les températur­es augmentent, ce qui favorise les attaques de ravageurs, et la pomme de terre a besoin de froid pour germer.»

Pour la conservati­on, on déshydrate­ra la pomme de terre durant la saison froide en la laissant geler la nuit sur des couverture­s, puis en la vidant plusieurs fois de son eau.

Tout cela donnant faim, place à la dégustatio­n du tubercule aux formes et aux couleurs multiples, au restaurant communauta­ire Parwa, dans le village Huchy Qosco, «petit Cusco» en Quechua. Ouvert en 2013 grâce au voyagiste G Adventures et à sa fondation Planeterra ainsi qu’au Fonds d’investisse­ment multilatér­al, le restaurant, géré par les habitants de ce village de 70 familles, a donné naissance à un programme «de la ferme à la table», dont les profits sont réinvestis dans des projets sociaux tels que santé, éducation, nutrition et services de base essentiels, ainsi que dans ce restaurant qui favorise les produits locaux.

 ?? PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT ?? Autre site fascinant dans la Vallée sacrée, les Salines de Maras qui fournissen­t depuis 4000 ans le sel indispensa­ble à la conservati­on des aliments, puisé dans une myriade de lagunes.
PHOTOS HÉLÈNE CLÉMENT Autre site fascinant dans la Vallée sacrée, les Salines de Maras qui fournissen­t depuis 4000 ans le sel indispensa­ble à la conservati­on des aliments, puisé dans une myriade de lagunes.
 ??  ??
 ??  ?? Ci-contre : sourires au marché coloré d’Ollantayta­mbo. Ci-dessous : l’abondance en fruits et légumes de la Vallée sacrée et du Pérou au marché central San Pedro, à Cusco.
Ci-contre : sourires au marché coloré d’Ollantayta­mbo. Ci-dessous : l’abondance en fruits et légumes de la Vallée sacrée et du Pérou au marché central San Pedro, à Cusco.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada