Du sang sur la neige
Le mouvement Black Lives Matter inspire à Veena Sud, créatrice la série The Killing, une série percutante
Scénariste, réalisatrice et productrice, la Torontoise Veena Sud a de la suite dans les idées. Après The
Killing (2000), adaptation d’une série danoise portant sur l’enquête du meurtre d’une fille de 17 ans retrouvée dans le coffre d’une voiture, et le long métrage The Salton
Sea (2016), où une conductrice coupable d’un délit de fuite est victime de chantage de la part d’un auto-stoppeur, elle emprunte au cinéma russe une choquante histoire de délit de fuite.
S’inspirant du film Mayor (2013), de Youri Bykov, Veena Sud transpose l’action à Jersey City et y ajoute une touche d’actualité. Midrame policier, mi-drame judiciaire, la série Seven Seconds n’est pas toujours des plus subtiles, mais réserve son lot de surprises en offrant une radiographie brute de l’Amérique au temps du mouvement Black Lives Matter (La vie des Noirs compte).
Pressé de se rendre à l’hôpital où sa femme (Michelle Veintimilla) est sur le point d’accoucher, Peter Jablonski (Beau Knapp), policier de race blanche, percute un garçon de 15 ans afro-américain. Affolé, il appelle en renfort son supérieur immédiat, Mike Diangelo (David Lyons).
Avec la complicité de deux autres confrères, Felix Osorio (Raúl Castillo) et Gary Wilcox (Patrick Murney), Jablonski et Diangelo font disparaître les preuves incriminantes et laissent pour mort le jeune garçon. Ce que les quatre policiers ignorent, c’est que Nadine (Nadia Alexander), héroïnomane en fugue, a tout vu. Après avoir passé douze heures inconscient dans un fossé enneigé, Brenton Butler est enfin transporté à l’hôpital. Il perd la vie deux jours plus tard.
Un tandem d’antihéros
Outrés, inconsolables, assoiffés de justice, les parents de l’adolescent, Latrice (Regina King) et Isaiah (Russell Hornsby), veulent connaître le ou les coupables de l’accident. Entrent alors en scène l’avocate afro-américaine
Au fil des dix épisodes de Seven Seconds, Veena Sud et son bataillon de scénaristes s’appliquent à illustrer les tensions raciales régnant aux États-Unis, le racisme systémique des forces policières — Diangelo compare les jeunes délinquants de race noire à des animaux — et le manque de subjectivité des médias
KJ Harper (Clare-Hope Ashitey) et l’enquêteur caucasien Joe Rinaldi (Michael Mosley). Or ni l’un ni l’autre n’ont l’étoffe d’un héros: la première accuse un penchant pour les soirées de karaoké arrosées au gin; le second est la risée de ses collègues en raison des aventures extraconjugales de son ex-femme, également policière. Au fil des dix épisodes de Seven
Seconds, Veena Sud et son bataillon de scénaristes s’appliquent à illustrer les tensions raciales régnant aux États-Unis, le racisme systémique des forces policières — Diangelo compare les jeunes délinquants de race noire à des animaux — et le manque de subjectivité des médias. Sous prétexte qu’il a déjà été arrêté pour possession de deux joints, le jeune Butler est présenté dans les médias comme un membre en règle d’un gang de rue.
D’actualité
Alors que les parents de la victime, l’avocate et son compère enquêteur sont dépeints avec un certain souci d’authenticité, on ne saurait en dire autant des quatre policiers corrompus. Certes, Jablonski, qui était au volant, est rongé par le remords et Osorio souffre des blagues racistes de ses confrères, mais tous les quatre ne sont pas très loin du cliché voulant que les policiers soient des brutes épaisses qui tirent ou frappent avant de réfléchir.
On sent également que les scénaristes n’ont pas souhaité rendre leurs épouses, victimes collatérales des agissements du quatuor, des plus sympathiques. Heureusement, arrive du côté des accusés une redoutable avocate (Gretchen Moll), qui voit clair dans le jeu de tous et qui sait que tous ne sont pas égaux devant la justice.
Si Seven Seconds comporte des longueurs (parfois l’enquête piétine autant que celle sur le meurtre de Nadine Legrand dans District
31), néglige certains détails (on règle trop vite le sort de la fugueuse Nadine), en souligne d’autres au crayon gras (la détresse de la mère), cela ne l’empêche toutefois pas de s’avérer captivante, percutante et riche en émotions.
Dans sa volonté de dénoncer sans fard la brutalité policière, la série ramène en mémoire des événements récents et rappelle que les jeunes hommes noirs sont plus à risque de mourir sous les balles des policiers que tout autre groupe aux ÉtatsUnis. Ponctuée d’images qui frappent l’imaginaire, telle cette scène de l’avocate découvrant la neige ensanglantée où gisait la victime, Seven Seconds propose en prime une finale qui laissera plus d’un spectateur pétrifié sur son siège.