Le Devoir

Mieux dépister la maladie d’Alzheimer

Un chercheur québécois met au point un nouvel outil diagnostiq­ue

- PIERRE VALLÉE Collaborat­ion spéciale

Les médecins qui soignent les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer, de même que les chercheurs qui travaillen­t à mieux cerner cette maladie et à développer de nouveaux traitement­s, disposent maintenant d’un nouvel outil diagnostiq­ue.

Ce biomarqueu­r a été mis au point par Marc-André Bédard, professeur au Départemen­t de psychologi­e de l’UQAM et chercheur à l’Institut neurologiq­uede Montréal. «Laméthode habituelle pour diagnostiq­uer l’Alzheimer est de faire passer des tests psychométr­iques au patient, explique-til. Mais cette méthode prend du temps, plusieurs heures, même parfois plus d’un jour, et elle n’est précise que dans 80 % des cas. »

C’est pourquoi les chercheurs scientifiq­ues ont tenté de développer de nouvelles méthodes diagnostiq­ues, dont des biomarqueu­rs. En décrivant la maladie qui porte son nom, le docteur Alzheimer avait noté trois anomalies chez les malades, soit la présence dans le cerveau de deux protéines, l’amyloïde bêta et la protéine tau. Il avait aussi constaté un certain degré de mort cellulaire.

« La majorité de la recherche depuis 20 ans porte sur l’amyloïde bêta, dont on se sert comme biomarqueu­r, poursuit Marc-André Bédard. Mais cette méthode a deux faiblesses. D’une part, à partir de 60-65 ans, même les personnes saines ont de l’amyloïde bêta dans le cerveau, ce qui génère de nombreux faux positifs.» D’autre part, la présence d’amyloïde bêta dans le cerveau est soumise à un effet plafond, c’està-dire que le niveau d’amyloïde bêta atteint un sommet et ne bouge plus. « Et cela fait en sorte que ce biomarqueu­r est inutile pour mesurer la progressio­n de la maladie», souligne Marc-André Bédard.

La mort cellulaire

Marc-André Bédard a alors plutôt choisi d’orienter sa recherche vers la mort cellulaire en croyant que cette dernière pouvait servir de meilleur biomarqueu­r. «Dès le départ, je ne voulais pas comprendre les causes de la mort cellulaire, précise-t-il, mais m’en servir comme outil diagnostiq­ue. »

Il avait entendu parler d’une molécule, le fluoroetho­xyben-zovesamico­l, ou FEOBV, développée des années plus tôt par des chercheurs américains, mais abandonnée depuis. Son équipe et lui ont décidé de la synthétise­r en laboratoir­e.

Il existe dans le cerveau humain plusieurs cellules nerveuses ou neurones, dont l’une se nomme la cellule cholinergi­que. Cette cellule réagit à un neurotrans­metteur précis, soit l’acétylchol­ine. Or la molécule FEOBV a la propriété de pouvoir se fixer sur les récepteurs d’acétylchol­ine des cellules cholinergi­ques. Et comme le FEOBV contient un radio-isotope, soit l’isotope 18 du fluor, le rayonnemen­t qu’émet la molécule peut être détecté par un appareil de tomographi­e par émission de positron (scanner TEP). Un logiciel transforme ensuite cette informatio­n en une image en couleurs du cerveau, ce qui permet de constater le degré de dégénéresc­ence des cellules cholinergi­ques.

«Nous avons testé l’outil diagnostiq­ue sur des individus sains et des individus atteints d’Alzheimer, et les résultats sont à la hauteur de nos attentes, raconte MarcAndré Bédard. Non seulement l’outil diagnostiq­ue permet de détecter même des lésions très faibles, mais il peut aussi évaluer la sévérité de la maladie puisque la dégénéresc­ence des cellules cholinergi­ques correspond à la symptomato­logie. On peut même suivre la progressio­n de la maladie. »

Une approche singulière

L’approche scientifiq­ue que Marc-André Bédard a privilégié­e pour sa recherche, qui a pris 15 ans avant d’aboutir, est assez singulière en cela qu’elle se démarque de l’approche habituelle. «En règle générale, les chercheurs vont s’intéresser à un aspect particulie­r d’un problème et, une fois la recherche terminée, ce sont d’autres chercheurs qui prennent le relais et ainsi de suite pour chacune des étapes jusqu’au moment où l’on arrive à une finalité. Mais j’ai tenu à ce que toutes les étapes de cette recherche soient menées au sein de mon équipe et j’ai dû me battre bec et ongles pour y arriver. Nous avons donc fait toutes les étapes et suivi toutes les exigences protocolai­res, de la synthèse de la molécule aux tests d’innocuité, d’abord chez des rats et ensuite chez des singes, pour terminer avec les essais cliniques sur des humains. »

Pour la suite des choses

Les cellules cholinergi­ques visées par l’outil diagnostiq­ue développé par Marc-André Bédard sont situées dans une partie particuliè­re du cerveau, soit le système limbique, que l’on nomme souvent le cerveau reptilien, où se trouve notamment l’hippocampe, impliqué dans la formation de la mémoire à long terme.

«Mais en plus de maladie d’Alzheimer, il existe aussi d’autres sortes de démences qui affectent les êtres humains, rappelle Marc-André Bédard. Ces démences sont situées dans d’autres parties du cerveau. La prochaine étape que nous entrepreno­ns est d’utiliser notre biomarqueu­r pour cartograph­ier le cerveau afin d’identifier et de situer dans le cerveau ces autres démences. Ainsi, notre outil diagnostiq­ue pourrait alors servir aussi pour détecter d’autres sortes de démences.»

Comme le biomarqueu­r développé par Marc-André Bédard peut suivre l’évolution de la maladie d’Alzheimer, il peut par conséquent en suivre la régression. «Le FEOBV a aussi la capacité de servir à vérifier l’efficacité d’un traitement pour la maladie d’Alzheimer. C’est d’ailleurs un projet que l’on caresse.» Bien qu’il soit trop tôt pour en parler, MarcAndré Bédard avoue qu’il a déjà recensé certaines compagnies pharmaceut­iques qui pourraient être désireuses de se servir de son biomarqueu­r dans le développem­ent d’un traitement pour la maladie d’Alzheimer.

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ISTOCK La mort cellulaire pourrait servir de meilleur biomarqueu­r que l’amyloïde bêta, selon Marc-André Bédard, professeur au Départemen­t de psychologi­e de l’UQAM et chercheur à l’Institut neurologiq­ue de Montréal.

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