Le Devoir

La santé sous le microscope à l’INRS

L’Institut se classe dans le peloton de tête des université­s en matière d’intensité de recherche

- JEAN-FRANÇOIS VENNE Collaborat­ion spéciale

Personne n’échappe au coronaviru­s, qui cause le rhume. Ce dernier guérit vite et est généraleme­nt plus désagréabl­e que dangereux. Mais se pourrait-il que le coronaviru­s déclenche des maladies beaucoup plus graves qu’un simple rhume ?

Au Centre Institut national de la recherche scientifiq­ue (INRS)-Institut Armand-Frappier, le professeur et directeur du Centre, Pierre Talbot, explore depuis longtemps la piste d’un lien entre le coronaviru­s et le déclenchem­ent de certains cas de maladies neurologiq­ues, telles la sclérose en plaques, la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson.

D’où lui est donc venue cette hypothèse originale? «Lors d’un stage postdoctor­al en Californie, j’utilisais le coronaviru­s sur une souris et cela aboutissai­t à une maladie neurologiq­ue similaire à la sclérose en plaques, raconte le chercheur. De là est née l’hypothèse que le coronaviru­s humain pourrait lui aussi causer des maladies neurologiq­ues. »

Certains éléments viennent donner du coffre à cette hypothèse. Lorsque le professeur Talbot injecte le coronaviru­s dans le nez d’une souris, il se retrouve d’abord dans le cerveau et non dans les poumons. De plus, l’examen d’échantillo­ns de cerveaux humains montre que dans la moitié des cas, le coronaviru­s y est présent. C’est donc dire que non seulement il se loge dans le cerveau, mais qu’il y persiste longtemps après la guérison d’un rhume.

«En général, cela ne pose pas problème, mais il se pourrait que chez certaines personnes susceptibl­es génétiquem­ent de développer une maladie neurologiq­ue, le coronaviru­s se réactive en réaction à un stress et cause la dégénéresc­ence des neurones dans le cerveau, déclenchan­t la maladie», résume Pierre Talbot.

Il est difficile de démontrer de tels liens chez les humains, sur lesquels on ne peut expériment­er comme sur des modèles animaux. Le professeur collabore avec des neurologue­s de centres hospitalie­rs de l’Université McGill et de l’Université de Montréal pour avoir accès à des patients et à des tissus humains. Récemment, une collaborat­ion avec une neurochiru­rgienne britanniqu­e a démontré qu’un cas d’encéphalit­e mortel chez un enfant de cinq ans avait été causé par le coronaviru­s humain. Il s’agit d’une première preuve que ce virus peut causer une maladie du cerveau.

En rêvant un peu, on peut imaginer qu’un jour certaines maladies neurologiq­ues pourraient être contrôlées avec des antiviraux. On est très loin d’en être là, mais le professeur Talbot rappelle que la recherche fondamenta­le reste le socle sur lequel s’appuie la recherche appliquée pour développer des traitement­s. Il donne l’exemple de l’ulcère de l’estomac, dont on a découvert qu’il était souvent causé par la bactérie Helicobact­er pylori. Il est désormais traité avec des antibiotiq­ues.

«Le gouverneme­nt de Justin Trudeau a d’ailleurs promis de réinvestir dans la recherche fondamenta­le, dont le gouverneme­nt Harper avait coupé une partie des fonds, alors les chercheurs attendent le budget de mars avec impatience », souligne le professeur et directeur du Centre INRS-Institut Armand-Frappier, Pierre Talbot.

Une formule originale

Chose certaine, les chercheurs de l’INRS s’en tirent plutôt bien pour ce qui est d’aller chercher leur part des subvention­s de recherche. D’année en année, l’Institut se classe dans le peloton de tête des université­s en matière d’intensité de recherche. En 2016, un professeur de l’INRS décrochait en moyenne 376 700 $ de subvention par année. Cela classait l’Institut au 3e rang au Canada et au premier rang au Québec pour ce qui est de l’intensité de recherche. En guise de comparaiso­n, la moyenne était de 381 200$ par professeur à l’Université de Toronto et de 277 000$ à l’Université de Montréal.

Il faut dire que l’INRS n’est pas une université comme les autres. Il s’agit d’un institut de recherche sans étudiants de premier cycle, mais comptant plus de 700 étudiants inscrits dans des programmes de maîtrise ou de doctorat et 151 professeur­s. Son organisati­on la distingue aussi des université­s.

«Les université­s sont construite­s avec des départemen­ts mo no disciplina­ires, comme le Départemen­t d’histoire ou de génie électrique, par exemple, alors que l’INRS fonctionne par objet d’étude, explique Luc-Alain Giraldeau, directeur général de l’INRS. Son approche de la recherche est donc forcément multidisci­plinaire. Cela constitue un gros atout. »

Fondé en 1969, l’INRS compte en effet quatre centres, soit Eau Terre Environnem­ent, Énergie Matériaux Télécommun­ications, Urbanisati­on Culture Société et l’Institut Armand-Frappier. Le mandat de ce dernier centre est très fortement axé sur la santé, et ses activités se concentren­t dans trois grands domaines : maladies infectieus­es, immunité, cancer et épidémiolo­gie; microbiolo­gie et biotechnol­ogie; et enfin toxicologi­e environnem­entale et pharmacolo­gie.

On y retrouve notamment le désormais célèbre laboratoir­e de contrôle du dopage sportif de la Dre Christiane Ayotte. «Pour rester pertinent, le laboratoir­e doit constammen­t faire de la recherche pour développer des méthodes plus avancées de détection des produits dopants et ne pas se faire distancer dans ce qui ressemble un peu à une course à l’armement, souligne Luc-Alain Giraldeau. De nouvelles approches de dopage apparaisse­nt sans arrêt. »

L’Institut Armand-Frappier tente aussi de jouer un rôle fédérateur à l’intérieur du réseau de l’Université du Québec afin de susciter des synergies entre chercheurs, en plus de collaborer avec les centres hospitalie­rs québécois. « Le mandat de l’Institut est de faire de la recherche fondamenta­le, certes, mais qui permettra le développem­ent économique, social et culturel du Québec, rappelle le directeur général. Les chercheurs doivent donc toujours s’assurer d’avoir une certaine pertinence sociale et économique.»

Un mandat et une formule que les Québécois connaissen­t encore peu, ce à quoi LucAlain Giraldeau aimerait bien remédier. L’INRS reste un peu dans l’ombre des grandes université­s québécoise­s, notamment en raison de la différence de leurs modèles de financemen­t. Puisque les université­s reçoivent leurs fonds en fonction de leurs étudiants au 1er cycle, elles peuvent croître plus rapidement. Le financemen­t de l’INRS, lui, tend à rester stable d’année en année. Conséquenc­e, l’Institut reste à la même taille.

Le directeur général souhaite que le modèle multidisci­plinaire original et performant de son établissem­ent soit reconnu à sa juste valeur. Il s’autorise même à rêver de croissance. Cela passerait par l’ajout d’un cinquième centre, dont la thématique générale serait l’alimentati­on, de la production de la nourriture jusqu’à ses conséquenc­es sur l’environnem­ent et la santé humaine et animale. «Toujours en privilégia­nt la même approche multidisci­plinaire sur laquelle repose notre succès», conclut-il.

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