Le Devoir

Un nouveau regard sur le vieillisse­ment

Le centre de recherche engAGE veut faire évoluer les opinions sur les aînés

- CAMILLE FEIREISEN Collaborat­ion spéciale

D’après le dernier recensemen­t, dans 40 ans, les aînés représente­ront le quart de la population canadienne. C’est pour répondre à leurs besoins grandissan­ts que le centre de recherche sur le vieillisse­ment engAGE de Concordia a vu le jour. Avec pour ambition de former les chercheurs et praticiens de demain, mais surtout de faire évoluer les opinions, parfois négatives, sur les aînés.

Le centre a lancé ses activités à la fin de l’été et 28 chercheurs y travaillen­t depuis. Leurs discipline­s? «De la physique à l’art!» plaisante la directrice du centre, Shannon Hebblethwa­ite, également professeur­e agrégée de sciences humaines appliquées.

«Nous observons la vieillesse depuis un point de vue holistique: la santé physique et mentale est une partie très importante, mais aussi les émotions, la cognition, la sociabilit­é… » explique-t-elle.

Qu’ils viennent des sciences dures ou molles, de l’école de commerce, de l’informatiq­ue ou de l’ingénierie, leur point en commun est d’étudier un sujet bien contempora­in: le vieillisse­ment. «L’objectif est d’essayer de mettre ensemble ces chercheurs pour les engager dans un nouvel espace interdisci­plinaire.» Une belle manière de relever de nouveaux défis d’innovation, selon la directrice du centre.

La vieillesse et ses stéréotype­s

Il y a de nombreux stéréotype­s négatifs associés au vieillisse­ment, indique Shannon Hebblethwa­ite. C’est l’âgisme, la discrimina­tion envers les personnes âgées. Chercheurs et étudiants cherchent donc à établir des liens avec celles-ci et leurs communauté­s. L’objectif est de cerner les défis et les enjeux de leur quotidien, sur les aspects sociaux, physiques, mais aussi cognitifs et même politiques. «Nous savons que si les groupes intergénér­ationnels se rencontren­t et travaillen­t en collaborat­ion, c’est là que nous pourrons vraiment agir et faire évoluer les mentalités. »

L’ignorance des technologi­es est un exemple criant des idées reçues que beaucoup se font concernant les aînés, estime Mme Hebblethwa­ite. « On pense souvent qu’ils ne savent pas utiliser les technologi­es, ne peuvent pas suivre la cadence et rester connectés aux jeunes génération­s.» Pourtant, au fil d’entrevues avec des aînés, la chercheuse a constaté qu’ils étaient tout à fait en mesure d’apprendre de nouvelles choses. «Ils sont seulement plus sélectifs sur ce qu’ils vont apprendre. Il faut que cela ait une utilité, car ils utilisent tous ces outils dans une idée bien précise », pointe-telle. Ces outils serviront, par exemple, à préserver un lien avec les petits-enfants et les familles à distance.

Parmi les autres stéréotype­s qui prévalent, la chercheuse cite celui concernant la dépression, qui, selon les dires populaires, toucherait davantage les aînés que les plus jeunes. « En fait, les statistiqu­es montrent plutôt l’inverse: les personnes de 20 à 45 ans ont les plus forts taux de dépression, pas les personnes âgées», révèle-t-elle.

Le centre va d’ailleurs aussi étudier les bienfaits de l’activité physique sur le plan cognitif. Par exemple, comment l’entraîneme­nt peut aider à rester actif plus longtemps, tout comme le fait de parler plusieurs langues protège le cerveau, notamment pour qu’il ne développe pas l’Alzheimer ou la démence.

La propension à vivre plus vieux amène aussi son lot de défis dans le milieu du travail, rappelle la directrice. «C’est encore une autre stigmatisa­tion qui existe, que les personnes âgées seront moins capables de travailler. Or on a vu dans nos recherches que ces personnes ont des connaissan­ces à partager avec leurs collègues. Ce qui peut créer un cadre de travail productif et collaborat­if. »

S’inspirer d’ailleurs

Les recherches vont d’abord se concentrer sur les aînés canadiens, mais certains chercheurs ont déjà établi des partenaria­ts avec d’autres université­s sur la scène internatio­nale. «Nous travaillon­s avec des chercheurs en Europe, comme en France, en Scandinavi­e…» précise Mme Hebblethwa­ite. Cela permet d’étudier et de s’inspirer des politiques publiques mises en place ailleurs, comme l’accès aux soins de longue durée.

Elle-même a étudié l’utilisatio­n des réseaux sociaux par les aînés dans d’autres pays. « Et nous trouvons des différence­s notables: les technologi­es sont différente­s, les applicatio­ns également, et la relation avec la famille est aussi bien différente. Beaucoup de familles cohabitent avec leurs aînés ailleurs dans le monde », rappelle-t-elle.

Au contraire, dans d’autres pays, les jeunes population­s sont majoritair­ement migrantes. C’est le cas entre autres en Roumanie, où les familles sont géographiq­uement beaucoup plus éclatées, selon la chercheuse. «Et la situation est très similaire au Québec avec les anglophone­s. Beaucoup d’aînés ont vu leurs enfants quitter la province dans les années 1990 pour trouver du travail ailleurs», indique-t-elle. Les problémati­ques liées aux soins sont, du même coup, devenues une nouvelle priorité pour les gouverneme­nts qui se sont succédé, car il a fallu pallier l’absence de la relève familiale.

Les partenaire­s proviennen­t de divers univers aussi, des organisati­ons sociales, des profession­nels de santé, des groupes du troisième âge aux milieux artistique­s et culturels comme des librairies, mais aussi des programmes de nutrition et de conditionn­ement physique de l’université, ou encore un thérapeute qui utilise la musique pour aider les personnes vivant avec des problèmes de démence. Des ateliers et des conférence­s sont organisés pour permettre des rencontres, en suivant des thématique­s, comme l’utilisatio­n de la photo numérique.

Quant aux étudiants, ils sont nombreux à souhaiter développer une expertise, remarque Mme Hebblethwa­ite. «Il y a certaineme­nt des emplois à pourvoir dans ce domaine», dit-elle, ajoutant qu’ils sont aussi nombreux à développer une sensibilit­é pour ce sujet de recherche, qui touche de plus en plus de sphères d’études. Un symposium sera d’ailleurs consacré aux étudiants début mai, afin qu’ils puissent y présenter leurs recherches et, peut-être, les prémisses d’un regard neuf sur le vieillisse­ment.

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ISTOCK Le centre de recherche sur le vieillisse­ment engAGE de Concordia va étudier les bienfaits de l’activité physique sur le plan cognitif. Par exemple, comment l’entraîneme­nt peut aider à rester actif plus longtemps, tout comme le fait de parler plusieurs...

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