Le Devoir

Voie Camillien-Houde Les enjeux d’une route à repenser

La fermeture annoncée par la Ville ravive le débat sur l’accessibil­ité et l’utilisatio­n du parc du Mont-Royal

- ANNABELLE CAILLOU Avec Jeanne Corriveau

Les automobili­stes qui utilisent le mont Royal comme un raccourci devront bientôt revoir leur trajet quotidien. La voie Camillien-Houde, qui traverse la montagne, leur sera fermée dès ce printemps. La polémique est lancée et ne faiblit pas depuis plusieurs semaines.

L’annonce de la fin de la circulatio­n de transit sur le mont Royal a soulevé une très vive controvers­e dans la métropole. Si la préoccupat­ion principale de la Ville est la sécurité des usagers de la voie Camillien-Houde, à la suite du décès du cycliste Clément Ouimet en octobre dernier, plusieurs questions restent en suspens autour de l’accessibil­ité et de l’utilisatio­n de la montagne.

« Il y a des gens qui ne sont vraiment pas contents, mais [d’autres] sont vraiment contents. Ça fait ressortir plein de questions. Je trouve que c’est un débat qui est pertinent», a déclaré la mairesse Valérie Plante en entrevue avec Le Devoir, rappelant que le but n’est pas de limiter l’accès à la montagne, bien au contraire.

Mécontents, des citoyens ont lancé la semaine passée une pétition pour convaincre l’administra­tion de revenir sur sa décision. «Nous comprenons votre but d’éviter tout accident à l’avenir, mais éradiquer la voiture du mont Royal n’est pas la solution… ni monter la population des cyclistes et celle des automobili­stes l’une contre l’autre, sans parler des piétons et autres joggers», peut-on lire dans la pétition qui a déjà recueilli plus de 5000 signatures.

Les fervents défenseurs de la circulatio­n en voiture proposent plutôt une diminution de la vitesse à l’aide de ralentisse­urs ou d’un radar ainsi qu’un marquage au sol délimitant une zone réservée aux cyclistes.

Mais l’administra­tion Plante ne compte pas rebrousser chemin et un projet-pilote verra bel et bien le jour ce printemps. Les voitures provenant de l’est par le chemin CamillienH­oude devront se stationner aux abords de la maison Smith tandis que celles venant de l’ouest s’arrêteront près du lac aux Castors. Aucune circulatio­n entre ces deux points ne sera autorisée.

Selon plusieurs organismes consultés par Le Devoir, la polémique a remis au-devant de la scène des enjeux soulevés à maintes reprises par le passé, mais restés lettre morte auprès des administra­tions montréalai­ses.

Réaménagem­ent

«Peu conviviale», «non sécuritair­e », la voie Camillien-Houde attire peu les piétons, qui lui préfèrent d’autres chemins multifonct­ionnels dans le parc du Mont-Royal. Cette route n’a pas

changé depuis les années 1960 et aurait besoin d’être adaptée à la mobilité d’aujourd’hui, qui tente de réduire l’utilisatio­n de l’automobile, estime la présidente de Vélo Québec, Suzanne Lareau.

Une situation bientôt révolue considéran­t le réaménagem­ent prévu par la Ville. «Il y a tout un travail à faire pour reconfigur­er cette rue pour qu’elle devienne un chemin de parc et non pas une mini autoroute dans un parc», a expliqué le responsabl­e des parcs au comité exécutif, Luc Ferrandez, lors de la présentati­on du Programme triennal d’immobilisa­tions du Service des grands parcs au début du mois.

«C’est dangereux, il y a des endroits où il n’y a même pas de trottoirs et où c’est impossible de traverser à pied», renchérit Coralie Deny, directrice générale du Conseil régional de l’environnem­ent de Montréal, qui se réjouit de voir moins de voitures circuler dans le parc qui sert de poumon vert à la métropole. Les voitures filent à toute allure sur Camillien-Houde sans mesurer à quel point la voie regorge «d’endroits magnifique­s», où les Montréalai­s pourraient prendre le temps de s’arrêter s’ils en avaient la possibilit­é, regrette-t-elle. La fin de la circulatio­n de transit est l’occasion idéale de repenser la voie en laissant davantage de place aux piétons et aux cyclistes.

Supprimer le trafic ne va toutefois pas résoudre tous les enjeux de sécurité auxquels les cyclistes sont confrontés, croit Robert Voyer, directeur général du Club Cycliste Cycle Pop qui compte plus de 250 membres. «Ce qui m’inquiète, c’est que ça peut créer un goût de se dépasser chez les cyclistes, qu’ils se sentent plus libres sans voiture et montent et descendent encore plus vite. C’est dangereux», craint-il.

Cohabitati­on

Que ce soit sur CamillienH­oude où les autres chemins qui traversent la montagne, tel le chemin Olmsted, la cohabitati­on entre piétons et cyclistes suscite aussi la réflexion. «Souvent, on se dit que piétons et cyclistes sont deux catégories d’usagers vulnérable­s, mais entre eux il peut aussi y avoir une relation conflictue­lle, soutient la porte-parole de Piéton Québec, Jeanne Robin. Un cycliste est deux à trois fois plus rapide que la vitesse de marche, et c’est encore plus pour les vélos d’entraîneme­nt».

La directrice des communicat­ions des Amis de la montagne, Hélène Panaïoti, confirme que plusieurs accidents entre marcheurs et cyclistes surviennen­t fréquemmen­t dans le parc, mais ne sont pas comptabili­sés en raison de leur faible gravité. Près du Cimetière Mont-Royal, plusieurs marcheurs se sont déjà plaints de la vitesse des cyclistes. L’été passé, la fédération québécoise des sports cyclistes avait même dû rappeler ses membres à l’ordre, les invitant à «adopter une vitesse raisonnabl­e en descente, rouler à quatre maximum et en une seule file, et ce, tout en donnant la priorité aux piétons».

« Peut-être qu’on devrait faire des portions pour les vélos et les marcheurs séparées, comme on l’a fait pour le pont Jacques-Cartier», avance de son côté Robert Voyer, rappelant que le mont Royal s’avère une belle piste d’entraîneme­nt pour ses membres.

Une idée remise en question par la présidente de Vélo Québec. «Si [les cyclistes] ont leur voie réservée, ils vont forcément rouler plus vite, avance Mme Lareau. Ça sera d’autant plus dangereux quand des piétons voudront traverser. Avoir un flot mélangé d’usagers, ça permet aussi de forcer les cyclistes à ralentir, car ils ont conscience de partager la route avec des gens plus vulnérable­s qu’eux ».

Interrogée sur le sujet, la mairesse Valérie Plante a affirmé que ceux qui font de l’entraîneme­nt «n’auront pas préséance». «Pour nous, le mont Royal est un lieu récréatif et sportif, mais ce n’est pas une voie d’entraîneme­nt. On a le circuit Gilles-Villeneuve qui est bien utile pour ça. »

Transport collectif

«Avant de dire oui ou non à la fermeture du transit aux voitures, il faudrait penser à améliorer l’accès en transport collectif », estime la directrice des communicat­ions des Amis de la montagne, Hélène Panaïoti. C’est là que le bât blesse, selon elle, d’autant plus que la Ville souhaite aussi réduire le nombre de places de stationnem­ent sur la montagne.

Les Montréalai­s souhaitant se rendre rapidement en haut du mont Royal peuvent prendre la ligne d’autobus 11, qui ne passe cependant que toutes les demi-heures en semaine. «C’est largement insuffisan­t, la 11 demeure une des lignes d’autobus les moins fiables. Parfois, elle ne se présente pas de la journée, sans explicatio­n, et nos employés en font souvent les frais», raconte Mme Panaïoti.

En juin dernier, un bus estival a été ajouté en appui à la ligne 11 afin d’amener davantage de personnes au parc du Mont-Royal et à l’oratoire Saint-Joseph. Une initiative qui devrait être permanente, selon Mme Panaïoti.

Et pourquoi ne pas ajouter une autre ligne qui partirait du centre-ville, s’aventure même à imaginer la directrice de Vélo Québec, Suzanne Lareau.

C’est largement insuffisan­t, la 11 demeure une des lignes d’autobus les moins fiables. Parfois, elle ne se présente pas de la journée, sans frais.» explicatio­n, et nos employés en font souvent les Hélène Panaïoti, directrice des communicat­ions de l’organisme Les Amis de la montagne

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PHOTOS CATHERINE LEGAULT LE DEVOIR L’administra­tion Plante fermera partiellem­ent la voie Camillien-Houde aux automobili­stes qui traversent le mont Royal.
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