Un nouveau chapitre
Le projet est encore flou, mais l’intention derrière la future loi-cadre sur la reconnaissance et la mise en oeuvre des droits des peuples autochtones annoncée mercredi dernier par le premier ministre Justin Trudeau est la bonne.
Les rapports, les commissions d’enquête et une cascade de jugements le répètent depuis des décennies. Les autochtones ont des droits ancestraux et des droits inhérents issus de traités. Cela n’a pas suffi à mettre fin à la posture colonialiste des gouvernements fédéral et provinciaux. Il y a eu des progrès depuis 150 ans, mais à pas de tortue. Même l’enchâssement des droits autochtones dans la Constitution de 1982, obtenu à l’arraché, n’a pas suffi. Les quatre conférences constitutionnelles prévues par la suite pour définir ces droits se sont terminées dans une impasse en 1987. Comme l’a dit M. Trudeau, «au lieu de tout simplement voir leurs droits reconnus et affirmés […], les autochtones ont été forcés de prouver encore et toujours, à coups de contestations judiciaires coûteuses et interminables, que leurs droits existaient bel et bien et qu’ils doivent être reconnus et mis en oeuvre ».
C’est cette équation que son gouvernement veut inverser. Ces droits ne seront plus contestés, mais reconnus, et on cherchera une manière d’y donner vie. La loi-cadre, explique-t-on dans l’entourage de la ministre des Relations Couronne-Autochtones, Carolyn Bennett, imposera une obligation à tout l’appareil fédéral de tenir compte de ces droits lors de l’élaboration de lois, de politiques et de programmes.
On cite en exemple le projet de loi sur l’évaluation environnementale, qui prévoit d’emblée des mécanismes de consultation et de participation des autochtones. Ce serait le genre de norme que la loi-cadre imposerait, tout comme l’obligation de prévoir des mécanismes permettant aux nations autochtones qui le souhaitent d’assumer elles-mêmes les responsabilités dans le secteur visé. On ouvrirait ainsi la voie à une autonomie gouvernementale sur mesure avec pour objectif de permettre à ces nations de se soustraire en tout ou en partie à la Loi sur les Indiens.
En matière de revendications territoriales et particulières, on n’exigera plus que, en échange d’un accord, les signataires autochtones renoncent à leurs droits ancestraux. Ottawa imposait cette condition jusqu’à maintenant afin d’avoir la certitude de clore le dossier pour de bon.
Cette loi-cadre, qu’on espère présenter avant la fin de l’année et mettre en oeuvre l’an prochain, doit toutefois faire l’objet de vastes consultations. Elles pourraient s’annoncer ardues, car la définition et la portée des droits prévus dans la Constitution ne font pas toujours consensus, y compris parmi les autochtones.
L’expérience vaut quand même la peine d’être tentée parce qu’Ottawa ne peut imposer ses vues en ce domaine. Il le fait depuis 150 ans et on voit où cela nous a menés. Une nouvelle relation Couronne-Autochtones ne peut toutefois voir le jour sans ce «renversement radical de perspective», comme l’appelle la sénatrice Renée Dupuis, une juriste éminente en matière de droits autochtones, un renversement que la loi-cadre visera à consolider.
Cela ne va pas rendre les choses plus simples, il est même fort probable que les négociations vont se multiplier, mais mieux vaut un dialogue fructueux qu’un climat perpétuel d’affrontement devant les tribunaux. Il faudra aussi voir comment les provinces recevront cette initiative et pourront y arrimer leurs propres approches et politiques.
La consultation et l’élaboration de ce cadre ne doivent toutefois pas ralentir les actions urgentes et nécessaires pour corriger des décennies d’injustices et de discrimination systémique en matière de santé, d’éducation, de services sociaux, de logement, de développement économique et j’en passe. Le rattrapage doit se poursuivre et s’accélérer, car les nations autochtones ne pourront reprendre leur destin en main, dans le respect de leur culture et leurs traditions, si elles n’ont pas les moyens pour le faire.
Cette annonce a été reçue avec prudence et même méfiance dans les rangs autochtones, l’histoire leur donnant toutes les raisons d’être sur leurs gardes. Comme l’a dit le député cri Romeo Saganash, «il faut s’assurer que cette fois sera la bonne. Une des choses les plus inacceptables que puisse faire un politicien est d’anéantir l’espoir des plus vulnérables en brisant ses promesses ».
Monsieur Trudeau, vous n’avez pas le droit de les décevoir.