Le FMI, les inégalités et la vertu
De passage à Montréal récemment à l’occasion d’une conférence organisée par le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), le directeur adjoint à la recherche du FMI, Jonathan Ostry, a décrié la hausse des inégalités économiques dans le monde. Il a fait un plaidoyer pour une plus grande redistribution de la richesse nationale et internationale.
Cet argument a déjà été fait maintes fois, notamment par Oxfam International, qui rappelait dans son rapport de janvier que le 1% des plus riches du monde possède autant d’avoir nets que les 99% restants. L’économiste indienne Jayati Ghosh résume bien la situation: un p.d.g. d’une des cinq plus grandes multinationales dans l’industrie du textile gagne autant en quatre jours qu’une employée moyenne du Bangladesh dans toute sa vie.
Le fait que cette position soit aussi défendue par un haut lieu historique du néolibéralisme est plutôt surprenant. Mais soyons clair, le FMI ne dit pas que les inégalités sont moralement inacceptables, mais plutôt qu’elles sont dommageables pour la croissance économique. En bref, une société plus inégale va observer moins de croissance économique.
Quand même, tout le monde s’entend pour dire que les inégalités sont mauvaises, soit pour la croissance, soit pour l’équité sociale. Alors pourquoi les gouvernements ne mettentils pas en place des solutions appropriées ?
Les inégalités ne tombent pas du ciel. Elles sont le produit de politiques mises en place par les gouvernements. Des gouvernements qui n’osent pas dire non aux sacro-saints investisseurs étrangers et qui n’osent pas taxer les multinationales de peur de les voir s’enfuir. Des gouvernements qui, comme le gouvernement canadien, n’osent pas réguler les paradis fiscaux et resserrer l’évasion fiscale des plus riches.
Si ce sont des politiques publiques qui font grimper les inégalités, ce sont des politiques publiques qui peuvent les réduire. En voici trois exemples.
Des solutions
Premièrement, il faut renforcer l’impôt progressif sur le revenu. En clair, taxer davantage les plus riches et les compagnies privées à (très) haut revenu. Une telle mesure n’affecterait pas la majorité de la population, mais la toute petite portion qui possède la majorité de nos richesses.
Une étude du FMI d’octobre dernier indique que notre tendance à réduire le nombre de paliers d’imposition déplace le fardeau fiscal vers la classe moyenne (vous et moi !). Comme l’expliquait Éric Desrosiers dans un article du 14 octobre dernier dans Le Devoir), il ne suffit pas de rendre l’impôt plus progressif. Il faut aussi comprendre la teneur des revenus des plus riches, comme les gains en capital et autres dividendes qui sont moins taxés que le revenu, ou encore les avantages fiscaux auxquels les pauvres n’ont pas accès, comme pouvoir placer son argent dans des REER ou des CELI.
Deuxièmement, il faut lutter contre l’évasion fiscale, mais aussi l’évitement fiscal. Alors que l’évasion fiscale est clairement illégale, comme lorsqu’une entreprise paie ses employés au noir ou ne perçoit pas les taxes de vente, l’évitement fiscal est un euphémisme pour évoquer des pratiques légales, mais pour le moins douteuses.
Un exemple ? Lorsque l’émission Enquête dévoilait en 2016 que Québecor serait potentiellement propriétaire aux îles Caïmans de « Quebecor LTD» ou «TCG Videotron Cayman LTD». Bien que ce genre de stratégies pour payer moins d’impôt contredise l’esprit de la loi, c’est tout à fait légal selon l’Agence du revenu du Canada. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) calcule qu’au Canada seulement, plus de 10 milliards d’impôts impayés sont dus à l’évitement fiscal.
Troisièmement, renforcer les droits des travailleurs au Nord et au Sud afin d’éviter une chute des salaires et de leurs conditions de travail. Il s’agit ainsi d’adopter des politiques qui réduisent la discrimination sur le marché du travail au niveau du genre et de la provenance ethnique. Il faut également signer des ententes de marché bilatérales qui promeuvent le respect des travailleurs au Sud et exigent des salaires décents en fonction de la parité du pouvoir d’achat.
Dommageable pour la croissance
Rappelons que 10 % des salariés d’Amazon dans l’Ohio vivent sous le seuil de la pauvreté. Bien que la décision d’Amazon de ne pas s’installer à Montréal fût décriée sur tous les toits, c’est ce à quoi nous aurions été confrontés si le siège social de la multinationale avait élu domicile à Montréal.
Suivant l’exemple de l’Ontario, plusieurs partis politiques prônent un salaire minimum à 15$, une solution fiscalement viable et qui ferait rouler l’économie. Il ne suffit pas d’empêcher les riches de devenir plus riches, il faut aussi empêcher les pauvres de devenir plus pauvres.
Ces quelques politiques ne viennent pas d’une vision radicalement à gauche de l’économie. Bien qu’ils soient en désaccord sur le remède, la plupart des économistes — même au FMI! — s’entendent pour dire que l’augmentation des inégalités mondiales est dommageable pour la croissance et qu’il faut s’atteler à la tâche.
Pendant ce temps, les chefs de file de l’économie mondiale comme le président américain, Donald Trump, le premier ministre de l’Inde, Narendra Modi, et celui de la Chine, Xi Jinping, tournent le dos à la raison pour se rasseoir à la table du 1%. La dénonciation des inégalités par le FMI prouve que personne n’est contre la vertu. Mais personne ne veut être vertueux.