Le Devoir

La maladie mentale, ce bouc émissaire

- QUOC DINH NGUYEN Gériatre au CHUM et doctorant en épidémiolo­gie à l’Université McGill

Chaque fois que survient une fusillade, les mêmes questions se posent: Quand? Où? Combien de victimes? Quelle est l’identité du tireur ?

Sur ce dernier point, il y a souvent une question supplément­aire qui revient désormais systématiq­uement: le tireur avait-il une maladie mentale ?

Cette question n’est pas innocente. Qu’elle soit posée par l’actuel président américain ou par le lobby pro-armes, celui du Québec inclus, elle ouvre la porte à cette réponse devenue un refrain : il faut s’attaquer à la maladie mentale.

Quand il y a une confirmati­on que le tireur en est atteint, l’argument est conforté. Quand il n’y en a pas, la tactique est de poser la question suffisamme­nt pour faire porter à la maladie mentale la cruauté des morts le temps de la couverture médiatique.

Passons outre d’abord à la stigmatisa­tion indue des personnes souffrant de problèmes de santé mentale: l’écrasante majorité n’a ni antécédent ni risque augmenté de perpétrer des crimes violents. Faisons fi aussi du fait que le plus grand danger des armes pour cette population n’est pas l’homicide, encore moins de masse, mais le suicide.

Car il y a ici un point plus critique, un point dont tentent de profiter ceux qui tiennent mordicus à leurs armes. C’est l’argument de la cause unique, qui réduit tout problème complexe à une seule cause et ses seules solutions.

Pas de solution unique

Pour les événements de Parkland, en Floride, l’argument prétend que, si nous avions su dépister et traiter la «maladie mentale», il n’y aurait pas eu de victimes. Ce sont uniquement le tueur et surtout son «état mental perturbé» qui sont responsabl­es, car après tout un fusil sans humain pour l’actionner ne tue pas. Entre l’humain et l’arme, nous sommes invités à mettre en cause l’humain. Et à cette seule cause humaine, les solutions: une meilleure prise en charge de la santé mentale et des vérificati­ons plus serrées avant l’achat d’armes à feu. Qui peut être contre ? Pas moi.

Sauf que malheureus­ement pour le lobby pro-armes, je ne connais aucun problème encore non résolu qui appelle à une cause et à une réponse unique.

En épidémiolo­gie, il est bien établi que deux causes (ex. cigarette et amiante) distinctes peuvent mener à une même conséquenc­e (cancer du poumon). Ces deux causes peuvent en plus interagir pour être ensemble nettement pires que la somme de chacune. Quelle que soit la situation, traiter une cause ne nous donne pas le luxe de négliger l’autre !

Dans une fusillade, il est clair que l’arme et l’état mental de la personne qui l’actionne sont tous deux responsabl­es du lourd bilan de victimes. Un ne peut faire autant de tort sans l’autre et la solution pour y faire face ne peut donc pas être unique. En d’autres mots, prévenir et traiter la maladie mentale, c’est bien, mais il est capital de réglemente­r aussi les armes à feu. La maladie mentale ne saurait devenir le bouc émissaire.

Les bienfaits des traitement­s en santé mentale ne sont plus à démontrer. Mais pour les armes à feu, rappelons le cas de l’Australie : l’éradicatio­n complète des fusillades et une réduction d’environ 60% des morts par armes à feu grâce à des changement­s législatif­s adoptés en réponse à une fusillade en 1996.

Et puisqu’il a été question de «maladie mentale»: Einstein disait que la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent.

Rejouer la cassette de maladie mentale à chaque fusillade et ne s’attarder qu’à elle, il faut bien se demander ce que c’est.

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MARK WILSON GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE Pour les événements de Parkland, en Floride, l’argument prétend que, si nous avions su dépister et traiter la «maladie mentale», il n’y aurait pas eu de victimes.

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