Le Devoir

Pourquoi la culture religieuse à l’école ?

- CHANTAL BERTRAND Chargée de cours et doctorante en sciences de l’éducation

Àlire et à entendre certains détracteur­s du programme d’éthique et culture religieuse (ECR), il s’agirait d’un « complot multicultu­raliste » ne visant rien de moins que l’anéantisse­ment de l’identité québécoise, ou encore la preuve qu’un « lobbyisme religieux » puissant est actif à l’Assemblée nationale, qui vise, sous le couvert d’une éducation factuelle du phénomène religieux, à «formater le cerveau au moule de la pensée religieuse» (Baril, 2016, p. 90).

Affirmer que l’identité culturelle québécoise est menacée par l’ECR, c’est probableme­nt ne pas avoir lu ce programme. Bien au contraire, le programme offre à tous les élèves québécois de connaître notre patrimoine religieux. Au primaire, il s’agit principale­ment de découvrir des expression­s du religieux dans l’environnem­ent du jeune. Par exemple, qu’il sache que le congé pascal n’est pas que chocolat et lapin, qu’il puisse associer l’église devant chez lui au christiani­sme ou encore la kippa au judaïsme. D’ailleurs, au secondaire, l’un des thèmes obligatoir­es est «Le patrimoine religieux québécois». De plus, le christiani­sme (catholicis­me et protestant­isme) est traité avec la même impartiali­té que les autres traditions, mais davantage du temps lui est accordé pour permettre aux élèves de mieux comprendre la société québécoise. Il est en effet difficile d’apprécier les arts d’ici, de comprendre nos moeurs et coutumes, mais aussi l’histoire, l’actualité et la philosophi­e sans culture religieuse. Il est pour le moins paradoxal de prôner la culture générale… et de s’opposer à la culture religieuse.

Prétendre qu’ECR est un complot multicultu­raliste ou religieux, c’est ignorer que l’enseigneme­nt de la culture religieuse s’inscrit dans une mouvance occidental­e. D’ailleurs, ce passage d’un enseigneme­nt confession­nel à celui de la culture religieuse correspond aux recommanda­tions des grandes institutio­ns ayant un mandat de réfléchir à l’éducation. Ainsi, le Conseil de l’Europe affirme que «L’enseigneme­nt des faits religieux et relatifs aux conviction­s dans un contexte intercultu­rel permet de diffuser des connaissan­ces sur toutes les religions et conviction­s et leur histoire, offrant ainsi aux apprenants la possibilit­é de comprendre les religions et conviction­s et d’éviter les préjugés» (2008, p. 35). De même, l’UNESCO pose que : « Le manque de connaissan­ces réciproque­s des questions sensibles liées aux religions et à toutes croyances est évident. Cette lacune doit être comblée d’urgence. Il faut assurer une formation sur le pluralisme religieux à tous les niveaux de l’éducation formelle et non formelle, selon une terminolog­ie qui ne soit pas chargée religieuse­ment […] »

Pas un complot

Bref, loin d’être un «complot multicultu­raliste» ou le fruit d’un improbable « lobbyisme religieux», il s’agit d’une solution qui fait de plus en plus consensus à l’internatio­nal à la suite des travaux d’une multitude de chercheurs d’horizons différents. Ainsi, à l’instar du Québec, certains pays offrent un cours d’enseigneme­nt du fait religieux, soit le Danemark, l’Estonie, la Hollande, la Hongrie, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suède (Durand, 2012). En Suisse, les cantons romands offrent même un cours d’éthique et cultures religieuse­s.

D’ailleurs, tout le monde est d’accord : il convient de développer l’esprit de discerneme­nt des jeunes face au phénomène religieux. Cela notamment dans l’objectif de limiter la radicalisa­tion violente qui se nourrit beaucoup de l’ignorance. Les dialogues entre croyants, incroyants et agnostique­s sont considérés comme essentiels à cette fin. De plus, des thèmes comme «Les religions au fil du temps» permettent de montrer comment les religions ont toujours évolué avec le temps et que des visions différente­s d’une même tradition existent et ont toujours existé.

Le programme est-il perfectibl­e? Bien sûr! Mais plutôt que de le faire à partir de chroniques basées sur des anecdotes, d’inquiétude­s identitair­es légitimes mais non fondées, ou simplement par haine de la religion, il convient de se baser sur l’expérience de ceux et de celles qui enseignent cette discipline. Mon travail de recherche doctoral le prouve, ils et elles ont des suggestion­s concrètes et pertinente­s pour mieux les outiller à faire ce travail fondamenta­l. Et surtout, reconnaiss­ons avec fierté que le Québec est l’un des précurseur­s dans l’enseigneme­nt, incontourn­able dans le monde d’aujourd’hui, de la culture religieuse.

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ISTOCK Affirmer que l’identité culturelle québécoise est menacée par l’ECR, c’est probableme­nt ne pas avoir lu ce programme. Bien au contraire, le programme offre à tous les élèves québécois de connaître notre patrimoine religieux.

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