Métastases en Syrie
Il y a un an, on aurait pu croire la guerre de Syrie en voie d’apaisement, avec la défaite militaire du groupe État islamique (EI) et la reconquête par Damas — grâce à Moscou et à Téhéran — de territoires importants à l’ouest et au nord du pays.
Début 2018, alors que Bachar al-Assad clame (avec exagération) qu’il a repris les quatre cinquièmes du territoire national, de nouveaux fronts s’ouvrent en Syrie.
Depuis un certain temps déjà, il n’y a plus «une» guerre syrienne… mais «des» guerres, sur ce territoire qu’on appelait la Syrie.
Les démocrates idéalistes qui, au printemps 2011, demandaient à la dictature de s’amender, ont depuis longtemps été vaincus par la violence d’État, puis «tassés» par les factions en armes. En 2012 et 2013, la guérilla non islamiste, composée entre autres d’ex-officiers dissidents, a été, à son tour, marginalisée par les combattants de l’islam.
Un conflit dont les causes premières étaient — on ne le dira jamais assez — essentiellement internes, sociales, politiques (une société qui ne demandait qu’à pouvoir respirer), a dégénéré… devenant un enchevêtrement de ficelles, le lieu de toutes les manipulations étrangères (ce que le conflit syrien n’était pas, à l’origine).
Le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad a été assuré par l’intrusion massive de la Russie et de l’Iran, de loin les deux principales puissances à être intervenues en Syrie (… malgré le rôle non négligeable des pays du Golfe auprès des milices islamistes).
Les Américains, après le refus d’Obama d’attaquer, malgré le massacre chimique de la Ghouta en août 2013, frustrant de nombreux opposants qui avaient cru à cette aide, se sont contentés, après 2014, d’agir du haut des airs, dans l’est du pays (loin de Damas et d’Alep) contre les djihadistes.
Alors qu’à l’ouest, Moscou sauvait la mise à al-Assad, reprenant Alep fin 2016 (au prix d’atrocités contre la population et les hôpitaux), plus à l’est Washington et les milices kurdes faisaient l’essentiel du travail contre le groupe EI.
Après une fausse accalmie, de nouveaux fronts s’ouvrent dans une guerre interminable
Mais aujourd’hui, le cancer syrien fait de nouvelles métastases.
Ces dernières semaines, des fronts inédits ont vu s’opposer et se combattre directement: (1) la Turquie et les milices kurdes, au nord; (2) l’Iran et l’État d’Israël, à la frontière sudouest; (3) les États-Unis et l’alliance MoscouDamas, à Deir ez-Zor.
Depuis le 22 janvier, des troupes turques, galvanisées par le président Erdogan, ont franchi la frontière au nord-ouest et attaqué des milices kurdes. Des Kurdes qui se retrouvent plus isolés que jamais, maintenant qu’on n’a plus besoin d’eux après la chute du groupe EI, contre lequel ils avaient vaillamment combattu.
Le 10 février, chose inouïe, un drone iranien parti de Syrie a franchi la frontière israélienne. (De façon théâtrale et menaçante, Benjamin Nétanyahou a d’ailleurs brandi hier un morceau de ce drone, lors d’une conférence à Munich.) Après les automatiques représailles de Tel-Aviv, un F-16 israélien avait été ensuite abattu, probablement par l’armée syrienne. Affrontement direct sans précédent entre Israéliens et Iraniens… tout comme l’était cet avion de Tsahal descendu en vol par Damas.
Quelques jours plus tôt: le premier vrai bombardement américain, assumé comme tel, contre des soldats de Bachar al-Assad… et leurs alliés russes! Ça s’est passé le 7 février à Deir ez-Zor, dans le désert oriental du pays, loin des grands fronts des dernières années, alors que les forces de Damas tentaient de pousser vers l’est leur reconquête territoriale, et pilonnaient des combattants kurdes.
À ces nouveautés inquiétantes, on peut ajouter les tensions croissantes entre ceux qu’on disait alliés. Entre Turcs, membres de l’OTAN, et Américains amis des Kurdes. Et puis, entre Iraniens et Russes, tous deux soutiens de Bachar, mais entre qui les divergences sont de plus en plus claires : M. Poutine est, paraît-il, furieux de l’initiative iranienne à la frontière israélienne.
Parmi ces fronts mouvants, ce qui reste constant, tragiquement constant en ces premiers jours de 2018, ce sont les meurtriers pilonnages des avions russes et syriens contre la Ghouta, banlieue rebelle de Damas, et puis les accusations (par Paris notamment) d’utilisation d’armes chimiques… par un régime qui, en 2013 avec Moscou, avait fait tout un théâtre de leur prétendue destruction à 100%… Régime qui, quelques mois plus tôt, jurait n’en avoir jamais possédé!