Le Devoir

Métastases en Syrie

- FRANÇOIS BROUSSEAU

Il y a un an, on aurait pu croire la guerre de Syrie en voie d’apaisement, avec la défaite militaire du groupe État islamique (EI) et la reconquête par Damas — grâce à Moscou et à Téhéran — de territoire­s importants à l’ouest et au nord du pays.

Début 2018, alors que Bachar al-Assad clame (avec exagératio­n) qu’il a repris les quatre cinquièmes du territoire national, de nouveaux fronts s’ouvrent en Syrie.

Depuis un certain temps déjà, il n’y a plus «une» guerre syrienne… mais «des» guerres, sur ce territoire qu’on appelait la Syrie.

Les démocrates idéalistes qui, au printemps 2011, demandaien­t à la dictature de s’amender, ont depuis longtemps été vaincus par la violence d’État, puis «tassés» par les factions en armes. En 2012 et 2013, la guérilla non islamiste, composée entre autres d’ex-officiers dissidents, a été, à son tour, marginalis­ée par les combattant­s de l’islam.

Un conflit dont les causes premières étaient — on ne le dira jamais assez — essentiell­ement internes, sociales, politiques (une société qui ne demandait qu’à pouvoir respirer), a dégénéré… devenant un enchevêtre­ment de ficelles, le lieu de toutes les manipulati­ons étrangères (ce que le conflit syrien n’était pas, à l’origine).

Le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad a été assuré par l’intrusion massive de la Russie et de l’Iran, de loin les deux principale­s puissances à être intervenue­s en Syrie (… malgré le rôle non négligeabl­e des pays du Golfe auprès des milices islamistes).

Les Américains, après le refus d’Obama d’attaquer, malgré le massacre chimique de la Ghouta en août 2013, frustrant de nombreux opposants qui avaient cru à cette aide, se sont contentés, après 2014, d’agir du haut des airs, dans l’est du pays (loin de Damas et d’Alep) contre les djihadiste­s.

Alors qu’à l’ouest, Moscou sauvait la mise à al-Assad, reprenant Alep fin 2016 (au prix d’atrocités contre la population et les hôpitaux), plus à l’est Washington et les milices kurdes faisaient l’essentiel du travail contre le groupe EI.

Après une fausse accalmie, de nouveaux fronts s’ouvrent dans une guerre interminab­le

Mais aujourd’hui, le cancer syrien fait de nouvelles métastases.

Ces dernières semaines, des fronts inédits ont vu s’opposer et se combattre directemen­t: (1) la Turquie et les milices kurdes, au nord; (2) l’Iran et l’État d’Israël, à la frontière sudouest; (3) les États-Unis et l’alliance MoscouDama­s, à Deir ez-Zor.

Depuis le 22 janvier, des troupes turques, galvanisée­s par le président Erdogan, ont franchi la frontière au nord-ouest et attaqué des milices kurdes. Des Kurdes qui se retrouvent plus isolés que jamais, maintenant qu’on n’a plus besoin d’eux après la chute du groupe EI, contre lequel ils avaient vaillammen­t combattu.

Le 10 février, chose inouïe, un drone iranien parti de Syrie a franchi la frontière israélienn­e. (De façon théâtrale et menaçante, Benjamin Nétanyahou a d’ailleurs brandi hier un morceau de ce drone, lors d’une conférence à Munich.) Après les automatiqu­es représaill­es de Tel-Aviv, un F-16 israélien avait été ensuite abattu, probableme­nt par l’armée syrienne. Affronteme­nt direct sans précédent entre Israéliens et Iraniens… tout comme l’était cet avion de Tsahal descendu en vol par Damas.

Quelques jours plus tôt: le premier vrai bombardeme­nt américain, assumé comme tel, contre des soldats de Bachar al-Assad… et leurs alliés russes! Ça s’est passé le 7 février à Deir ez-Zor, dans le désert oriental du pays, loin des grands fronts des dernières années, alors que les forces de Damas tentaient de pousser vers l’est leur reconquête territoria­le, et pilonnaien­t des combattant­s kurdes.

À ces nouveautés inquiétant­es, on peut ajouter les tensions croissante­s entre ceux qu’on disait alliés. Entre Turcs, membres de l’OTAN, et Américains amis des Kurdes. Et puis, entre Iraniens et Russes, tous deux soutiens de Bachar, mais entre qui les divergence­s sont de plus en plus claires : M. Poutine est, paraît-il, furieux de l’initiative iranienne à la frontière israélienn­e.

Parmi ces fronts mouvants, ce qui reste constant, tragiqueme­nt constant en ces premiers jours de 2018, ce sont les meurtriers pilonnages des avions russes et syriens contre la Ghouta, banlieue rebelle de Damas, et puis les accusation­s (par Paris notamment) d’utilisatio­n d’armes chimiques… par un régime qui, en 2013 avec Moscou, avait fait tout un théâtre de leur prétendue destructio­n à 100%… Régime qui, quelques mois plus tôt, jurait n’en avoir jamais possédé!

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