So, saut, sot…
Une célébration de ce qui sépare, classe, exploite et distingue
STÉPHANE BAILLARGEON L a règle 5 de la Charte olympique impose au mouvement la solidarité entre les membres. Les cinq anneaux entremêlés symbolisant le mouvement olympique «représentent l’union des cinq continents et la rencontre des athlètes du monde entier».
Cette généreuse volonté de partage s’applique par un tas de programmes gérés par une commission spéciale pour soutenir les comités nationaux, développer des athlètes et des entraîneurs, surtout dans les pays moins fortunés.
Le budget 2017-2020 de cette espèce de péréquation sportive grimpe à plus de 625 millions de dollars, en hausse de 16% par rapport au plan précédent et de 1000% depuis 1989-1992 — on dirait les effets d’une entente avec des médecins spécialistes…
En 2016, le programme a soutenu 1547 athlètes et 815 participations aux Jeux de Rio. Les boursiers ont remporté 101 médailles. À Pyeongchang, la commission de la solidarité olympique distribue des enveloppes légales à 271 athlètes de 60 pays, soit un participant aux JO sur dix environ.
Les skieurs de fond venus du Kosovo, de Tonga, du Mexique, de l’Équateur et de Colombie, qui ont terminé leur course de 15km vendredi longtemps après les champions, sont du lot des soutenus. Ils ont passé la porte d’arrivée sous des délires d’applaudissements et d’encouragements de la foule et des autres athlètes, qui agitaient souvent leurs drapeaux respectifs.
Des manifestations de solidarité et de fraternité semblables, il s’en trouve tout plein à chaque édition des Jeux. Cette fois, il y a aussi cette histoire de la Tchèque Ester Ledecka qui a battu l’Américaine Lindsey Vonn au Super G. Mme Ledecka est championne de planche à neige, personne ne l’attendait en descente et elle a emprunté des skis à une autre Américaine pour réaliser sa stupéfiante performance. So, so, so, solidarité !
De la compétition
C’est très beau et merci. Maintenant, osons reposer la question qui dégonfle un peu la balloune: en même temps, ce sommet de la compétition sportive mondiale n’est-il pas une célébration de ce qui sépare, classe, exploite et distingue? En tout cas, ce n’est pas toujours gentil, la compétition !
Pour une Ester Ledecka, il y a une Kim Boutin. La patineuse de vitesse québécoise a subi l’accrochage d’une Coréenne finalement disqualifiée. Notre championne a remporté le bronze, et des milliers de Coréens frustrés l’ont bombardée d’insultes et même de menaces de mort. Sot, sot, sot…
La couverture médiatique hyperchauvine de chaque nation en rajoute tout le temps, partout. La caricature de Côté parue dimanche dans Le Soleil montre un vieux nationaliste québécois que les performances canadiennes rendent «fédéraliste pendant deux semaines tous les quatre ans», selon l’observation étonnée de son fils.
Le sport attise et poursuit aussi les tensions sociopolitiques et les luttes idéologiques. La manipulation de la belle et saine rivalité des épreuves à des fins de propagande dans le cadre de rivalité exacerbée traverse la longue histoire olympique depuis l’Antiquité. Les JO de l’ère moderne ont servi de vitrine aux empires coloniaux européens, à l’Allemagne nazie comme à la République démocratique d’Allemagne, à l’URSS comme à la Russie de Poutine.
Les tensions vont reprendre après la fusion artificielle mais hautement symbolique des deux Corées très, très divisées. Cette trêve olympique, c’est de la guerre froide qui se repose.
Et ce que le politique défait, l’économique ne le refait pas. Au contraire. Les athlètes deviennent des porteurs de marques dans les luttes commerciales mondiales pour conquérir de nouveaux marchés. L’or compte aussi pour les athlètes et leurs commanditaires parce qu’il rapporte de l’argent.
L’important, c’est de participer et de s’entraider? Bien sûr. Mais l’essentiel, c’est de gagner, pour soi, pour le pays et pour la marque…