Le Devoir

Son jardin derrière le garage

La formation musicale Ponctuatio­n lance Mon herbier du monde entier

- PHILIPPE RENAUD Collaborat­eur

Joli titre que celui du troisième album du groupe rock Ponctuatio­n: Mon herbier du monde entier. Image fleurie. «Je ne suis même pas stoner, en plus… Mais les gens peuvent bien fumer du pot en écoutant le disque, ça ne me dérange pas!» lance en rigolant Guillaume Chiasson, chanteur, guitariste et principal auteur-compositeu­r du groupe, conscient de l’allusion, disons, horticole, qu’on peut y lire. Et y entendre, aussi: après ses fracassant­s débuts garage rock en 2013 avec l’album 27 Club, Chiasson entraîne aujourd’hui son projet dans de verdoyants espaces pop-folk-rock psychédéli­ques sur cet album aux arômes de chanvre.

«J’aurais pas voulu refaire mon premier album, qui était celui d’un duo rock garage», laisse tomber Chiasson, désormais seul capitaine à bord du groupe fondé avec son frère Maxime. «Je pense à un gars comme Bowie quand je dis que j’admire ça, des artistes qui n’ont pas peur de faire des changement­s drastiques. Moimême, je n’aimerais pas me répéter d’un disque à l’autre, sans nécessaire­ment transforme­r complèteme­nt l’esthétique du band. Je trouve ça hot une progressio­n qui se remarque, et je ne vois pas pourquoi on devrait rester prisonnier d’un style. »

Nous échangions autant à propos du touffu troisième disque qu’il fera paraître vendredi prochain que du nouvel album de MGMT, Little Dark Age, fraîchemen­t sorti. Ce groupe aussi affiche son amour du psychédéli­sme. Ou l’affichait, plutôt, avant que n’arrive son nouvel album versant dans la synth-pop. «C’est encore tendance, les années 1980, je comprends ça», commente Chiasson.

Ce genre de virage draconien, cependant, n’est pas sa tasse de tisane: «Avant, chaque fois que j’écrivais une chanson, je me demandais: “ça peut-tu être une toune de Ponctuatio­n?” Si c’était trop pop, je l’évitais. Là, j’ai écrit sans trop me poser de questions, en prenant ce qui pour moi était cohérent, sans me poser la question si tel clavier ou tel son de guitare allait bien, si ça allait se jouer sur scène.» L’album s’en va un peu partout, avec des chansons pop et d’autres complèteme­nt «stone», concède Chiasson, mais ça demeure dans l’esprit d’ouverture musicale que Ponctuatio­n annonçait déjà sur son deuxième album.

Des chansons, il en a composé neuf pour ce nouvel album — huit avec des textes, une instrument­ale, l’étonnante Hortisculp­ture venant adoucir la finale. À lui tout seul, pour une première fois: comme pour les deux précédents, son batteur de frère joue bien sur l’album, mais pour la tournée, il passe son tour, jeune famille oblige. «C’était déjà compliqué avant la sortie de cet album… Mon frère, c’est tout un mélomane, mais disons que le projet est devenu plus gros qu’il se l’imaginait. On a parti Ponctuatio­n pour le fun, groupe de punkrock-garage, mais c’est rapidement devenu mon projet principal», abonde Guillaume, musicien et réalisateu­r touche-àtout, qui s’implique dans toutes sortes d’autres projets, Jesus Les Filles, SOLIDS, donne un coup de main à Vulvets…

Aujourd’hui établi à Montréal, le musicien honore toujours ses racines en enregistra­nt dans son studio situé au Pantoum, coopérativ­e de création musicale au coeur de la scène undergroun­d de la capitale qui héberge également Mauves, Simon Kearney, Anatole, Beat Sexü, entre autres groupes. Il a fait presque tout sur l’album, avec son frère à la batterie et le coup de main d’un ami bassiste. Bel exploit : on aurait cru entendre un bataillon entier faire tourner le moulin à tisser des arrangemen­ts évoquant la scène sixties californie­nne comme le vieux son psychédéli­que anglais — The Kinks en premier chef, et impossible de ne pas songer à leur chef-d’oeuvre The Kinks Are the Village Green Preservati­on Society (1968), une autre image fleurie en guise de titre, tiens tiens.

Un son québécois

«C’est vrai que malgré les références musicales internatio­nales, ça demeure “québécois” comme son — ç’a toujours été dans les veines de Ponctuatio­n, les Sultans, les Lutins, les Sinners. […] Je ne cherche pas à faire un pastiche de la pop des années 1960, mais c’est pour moi une influence plus importante que, disons, le grunge des années 1990», explique le musicien, qui cite The Piper at the Gates of Town de Pink Floyd comme un « album incontourn­able ».

Mon herbier du monde entier possède un beau fil conducteur, se réjouit Guillaume Chiasson, «dans les textes autant que dans l’enchaîneme­nt des chansons». Parlons-en des textes, du vocabulair­e riche qui les anime, sentiments d’amour, de solitude, d’inquiétude sur la vie qui passe et le monde qui bouille, finement exprimés sous la plume de l’auteur-compositeu­r. Belle Exil, charnelle Unheimlich… et celle qui retiendra l’attention, intitulée Mi-Arcan, Mi-Bovary.

«Ce n’est pas une comparaiso­n entre Nelly Arcan et Madame Bovary; je parle d’une fille que je compare à ces deux femmes, une sorte d’hybride entre le côté sexy et intellectu­el. J’aime l’image parce que tu peux l’interpréte­r à ta manière — et la structure de la chanson, avec ses deux parties distinctes, en est le reflet, comme les deux facettes de la personnali­té de cette fille. Comme Madame Bovary, tiens, qui menait sa double vie. J’aime provoquer la réflexion dans mes chansons, et ça me fait rire que ce soit une touche un peu heavy sur le disque et qu’elle parle de littératur­e.»

«Je me suis rendu compte que beaucoup de chansons avaient un lien avec l’espace, l’endroit, la distance, enchaîne Chiasson. Bon, ensuite, ça parle beaucoup de filles et d’expérience­s diverses, de relations avec les gens. C’est un peu de là qu’est venue l’idée de l’herbier : recueillir quelque chose au gré des rencontres et des endroits. »

Mon herbier du monde entier paraît officielle­ment le 23 février.

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ANTHONY JOURDAIN Guillaume et Maxime Chiasson composent le groupe Ponctuatio­n.

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