Le Devoir

L’Amérique entendra-t-elle ses enfants?

Des jeunes opposent leur voix à celle de la puissante NRA

- AMÉLI PINEDA

M obilisés par le mouvement #NeverAgain, des centaines d’adolescent­s à travers les États-Unis ont manqué leurs cours mercredi afin de manifester. Les yeux remplis à la fois de tristesse et de colère, ils exigent des «adultes» un durcisseme­nt de la législatio­n sur les armes après la tuerie de Parkland, où 17 personnes ont perdu la vie.

En Floride, plusieurs survivants ont pris d’assaut les rues de la petite capitale de Tallahasse­e, près d’une semaine après la tragédie.

« Que ces vies puissent être volées sans changement serait un acte de trahison à l’égard de notre grand pays», a lancé, la voix nouée, Lorenzo Prado, un des survivants de la fusillade à l’école Marjor y Stoneman Douglas.

Nikolas Cruz, l’auteur du massacre dans cette école secondaire, «a pu acheter un fusil avant d’avoir le droit de boire de la bière. Nikolas Cruz a pu acheter un fusil d’assaut tout en présentant des signes évidents de maladie mentale. Il a pu acheter un fusil d’assaut après des actes de délinquanc­e », a rappelé l’étudiant.

Unis, meurtris et éloquents, les jeunes survivants de la tuerie sont déjà parvenus à maintenir la fusillade en une plus longtemps que les autres récents massacres aux États unis.

Samedi, lors d’un autre rassemblem­ent, une étudiante s’en est prise directemen­t au président Trump, dénonçant ses liens avec la National Rifle Associatio­n (NRA), principal lobby américain des armes.

« Si le président me dit en face que c’était une terrible tragédie […] et qu’on ne peut rien y faire, je lui demanderai combien il a touché de

la NRA. Je le sais : 30 millions de dollars », a dit rageusemen­t Emma Gonzalez.

À la tête du mouvement #NeverAgain (#PlusJamais­Ça), ces jeunes âgés pour la plupart de 16 à 18 ans ne supportent plus l’inaction face au fléau des armes à feu.

«Ces adolescent­s sont très représenta­tifs de leur génération. Ils ont décidé de s’adresser euxmêmes au président avec un ton agressif, mais qui témoigne de leur motivation», souligne Francis Langlois, professeur d’histoire et membre associé de la Chaire Raoul-Dandurand.

Cette mobilisati­on juvénile déferle à travers le pays, où des élèves quittent les cours pour aller manifester devant leur établissem­ent scolaire, comme encore mercredi, en se coordonnan­t notamment avec le compte Twitter @studentswa­lkout.

Des élèves se sont réunis devant le Capitole des États-Unis, où siège le Congrès américain à Washington, où ils ont brandi des pancartes.

Les «jeunes de Parkland» prévoient un grand rassemblem­ent nommé «Marche pour nos vies » le 24 mars à Washington.

«Il y a une impulsion. On le sent, les gens sont tannés des tueries qui arrivent à répétition», note Mélanie Millette, professeur­e au Départemen­t de communicat­ion sociale et publique de l’UQAM.

Selon la spécialist­e de l’usage des réseaux sociaux, un parallèle pourrait se faire entre la démarche de ces étudiants et le récent mouvement de dénonciati­on #MoiAussi.

«Ça faisait longtemps qu’on savait qu’il y avait des abus et du harcèlemen­t, mais là on a eu des victimes qui sont montées à la tribune et qui ont collective­ment assumé le fardeau de le dire publiqueme­nt », souligne Mme Millette.

Lors de précédente­s tragédies, des mobilisati­ons ont été observées, mais la plupart ont été discrètes, observent les experts.

«Il n’y avait pas nécessaire­ment un terrain de solidarité existant. Lorsqu’on pense à Sandy Hook, c’étaient des enfants beaucoup trop petits pour se mobiliser eux-mêmes ou des gens qui ne se connaissai­ent pas et qui se sont retrouvés à vivre un drame ensemble par hasard, comme lors de la tuerie dans un cinéma [au Colorado] ou plus récemment lors d’un concert à Las Vegas », mentionne Mme Millette.

François Furstenber­g, professeur d’histoire à la Johns Hopkins University de Baltimore, croit que les jeunes prennent également conscience qu’ils ont été élevés au rythme des exercices pour se préparer à l’irruption d’un tireur dans leur école.

«Ils ne veulent plus entendre les gens dire qu’ils leur offrent des prières et des pensées, parce que cela signifie pour eux qu’on leur dit d’attendre jusqu’au nouvel événement », illustre M. Furstenber­g.

Les experts s’entendent pour dire que le cri d’indignatio­n semble porter.

«Ils sont assez jeunes pour être perçus comme des victimes innocentes, mais assez mûrs pour s’exprimer par eux-mêmes», analyse Frank McAndrew, professeur de psychologi­e au Knox College et expert en fusillades de grande ampleur.

Les jeunes de Parkland comptent sur l’appui non seulement social, mais aussi financier de personnali­tés publiques, dont George et Amal Clooney, Oprah Winfrey et Steven Spielberg.

Trump promet des mesures «fortes»

Donald Trump a promis des mesures «fortes», évoquant la possibilit­é, extrêmemen­t controvers­ée, d’autoriser le port d’armes pour certains enseignant­s.

«Évidemment, cela s’appliquera­it uniquement aux enseignant­s sachant manier une arme », a-t-il concédé.

Le président américain tente de se poser en homme à l’écoute de toutes les suggestion­s. Mais celui qui a promis aux membres du puissant lobby des armes NRA qu’ils avaient «un vrai ami à la Maison-Blanche» joue une partition délicate.

Mercredi, des étudiants de différente­s écoles endeuillée­s par les armes et des parents de victimes, assis en cercle autour de lui dans un vaste salon de la Maison-Blanche, ont dit leur douleur, raconté leur détresse.

Le président Trump n’a pas annoncé de mesures. Il estime qu’il faudrait se pencher sur la possibilit­é de permettre aux professeur­s de porter leur arme de façon dissimulée et de suivre une formation spéciale préalable.

Les fervents défenseurs du président américain ont décidé de s’en prendre à la crédibilit­é des étudiants survivants. Ils affirment que ces adolescent­s sont manipulés par l’opposition démocrate.

Le site Internet extrémiste The Gateway Pundit dénonçait notamment des lycéens « utilisés comme outils politiques par l’extrême gauche pour faire avancer sa rhétorique anticonser­vatrice et antiarmes», prêts à empêcher «systématiq­uement» les élèves pro-Trump de s’exprimer devant les médias.

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J. SCOTT APPLEWHITE ASSOCIATED PRESS Des étudiants de plusieurs villes aux États-Unis ont manifesté pour un meilleur contrôle des armes à feu. Ci-dessus, devant le Capitole à Washington.

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