Le Devoir

La tuerie de trop. L’éditorial de Guy Taillefer.

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« Cette tuerie est différente des autres, dit au New York Times un élève de l’école secondaire Marjor y Stoneman Douglas. J’ai le sentiment très net que quelque chose va changer. » Pour l’heure, ce quelque chose se résume à la très vague et très insuffisan­te promesse de Donald Trump d’interdire les « bump stocks », ces mécanismes qui permettent de transforme­r un fusil en mitraillet­te. Que la promesse soit tenue et cela n’empêcherai­t de toute façon personne de se procurer un fusil d’assaut semi-automatiqu­e AR-15 — arme de prédilecti­on des tueurs de masse aux ÉtatsUnis — comme celui qu’avait entre les mains Nikolas Cruz pour aller tuer 17 personnes à cette école de Parkland, en Floride. Une tuerie de plus ou la tuerie de trop? Une tuerie de plus parce qu’il reste très difficile d’imaginer que les législateu­rs trouveront un jour le courage de briser leurs chaînes et de rompre avec le lobby de la National Rifle Associatio­n (NRA)… Combien d’occasions ratées depuis Columbine (1999, 15 morts) de freiner la circulatio­n des armes aux États-Unis (88 fusils pour 100 personnes)? L’Assemblée législativ­e de la Floride, dominée par les républicai­ns, en a encore fait la preuve mardi en refusant net d’envisager l’idée d’interdire les fusils d’assaut, faisant la sourde oreille à la vague d’indignatio­n étudiante provoquée à l’échelle nationale par la fusillade de Parkland.

Dans le Boston Globe, un chroniqueu­r a donc fait remarquer non sans dépit que les articles sur les tueries de masse pourraient pour l’essentiel être écrits d’avance: les politicien­s s’en tiennent à répéter machinalem­ent que «leurs pensées et leurs prières» accompagne­nt les victimes et leur famille; le drame tend à être réduit aux problèmes de santé mentale du meurtrier ; et le débat sur le resserreme­nt des mécanismes de vérificati­on des antécédent­s des acheteurs finit toujours par être noyé dans les enjeux partisans, cadenassé par la NRA et la défense du sacro-saint deuxième amendement de la Constituti­on sur le port d’armes.

Et pourtant. C’est la tuerie de trop au regard du sursaut collectif exceptionn­el que cette tragédie provoque tout à coup au sein d’une partie de la jeunesse américaine. Et si ce sursaut de révolte, disséminé par des réseaux sociaux ici utiles au progrès démocratiq­ue, était l’embryon d’un mouvement irrépressi­ble qui forcera enfin les républicai­ns à plier — dans un État, la Floride, à grande valeur électorale? Il vient en tout cas mettre en évidence le fossé qui sépare la droite américaine de la majorité de la population, dont on sait depuis longtemps qu’elle trouve absurde que l’accès aux armes soit si mal encadré.

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GUY TAILLEFER

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