Du saumon de l’Atlantique élevé sur terre
Un projet devant se réaliser en Gaspésie se heurte à la réglementation fédérale
Des promoteurs ambitionnent de démarrer en Gaspésie le premier projet d’aquaculture commerciale de saumon en milieu terrestre au Canada. Ils sollicitent même un soutien financier du gouvernement du Québec, mais se heurtent pour le moment à des contraintes imposées par la réglementation fédérale, conçue pour l’aquaculture en milieu marin.
Avec leur projet CanAquaculture, des gens d’affaires québécois espèrent créer un «leader» dans l’aquaculture en «recirculation», un procédé «écoresponsable» qui existe déjà en Europe et qui permet de produire du saumon atlantique en milieu terrestre, dans le but de commercialiser sa chair.
Selon les prévisions de l’entreprise, un premier site pourrait être installé à Grande-Rivière, en Gaspésie, afin de produire quelque 1000 tonnes métriques annuellement, soit près de 200 000 saumons. Et à terme, ce projet permettrait pratiquement de doubler la production de l’industrie aquacole du Québec.
Son vice-président, Jean-Sébastien Thériault, entrevoit déjà des possibilités d’expansion, en raison de la demande « immense » pour le saumon, notamment sur les marchés américain et chinois. Toute la production doit d’ailleurs être exportée, puisque l’entreprise a déjà pris des ententes en vue de la vente de ses saumons.
Projet bloqué
CanAquaculture souhaiterait lancer sa production dès 2019. Mais pour le moment, tout le projet de construction du site est bloqué. Selon les informations obtenues par Le Devoir, les promoteurs ne peuvent tout simplement pas obtenir les autorisations nécessaires pour importer les oeufs de saumon qu’on ferait éclore ici.
L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui réglemente l’importation de tous les animaux aquatiques au Canada, a en effet confirmé qu’elle interdit les importations d’oeufs provenant de pays où des cas d’anémie infectieuse du saumon (AIS) atlantique ont été détectés. Or, ce serait le cas de l’Islande, où seraient achetés les oeufs, qui sont produits par une entreprise qui exporte déjà dans d’autres pays.
Cette maladie ne pose aucun risque pour la santé humaine ou la salubrité des aliments, mais elle peut être dommageable pour les populations de saumons sauvages. Elle a d’ailleurs déjà été détectée dans les Maritimes, où il existe des élevages de poissons, mais en milieux marins. L’AIS n’est toutefois pas présente au Québec, selon l’ACIA.
Existe-t-il des risques précis liés à des installations en milieu terrestre? «Même si une installation d’aquaculture est située en milieu terrestre, elle produira de l’eau et des déchets», des voies qui peuvent permettre de propager l’AIS, a répondu l’ACIA.
Porte-parole de CanAquaculture, Jonathan Martel a toutefois indiqué que l’entreprise qui produit les oeufs fournit aussi un «certificat» qui atteste que les oeufs sont exempts de la maladie. Une autre analyse des oeufs serait menée au Québec, a-t-il expliqué mercredi. Qui plus est, l’entreprise prévoit un système de filtration de l’eau à l’entrée et à la sortie, en plus d’un protocole de «biosécurité» pour toutes les étapes de la production.
Selon M. Martel, «le cadre réglementaire au Canada n’est pas adapté» pour un projet comme CanAquaculture, qui se base sur «une technologie maîtrisée depuis plus de 10 ans en Europe». Dans un communiqué publié mercredi, l’entreprise a cependant dit avoir bon espoir de parvenir à une «solution satisfaisante» avec les autorités fédérales.
Au début du mois, le ministre de Pêches et Océans Canada, Dominic LeBlanc, a par ailleurs annoncé la mise sur pied d’un « comité d’experts» chargé d’étudier l’utilisation des «données scientifiques» dans la réglementation de l’aquaculture au pays.
Deux intervenants spécialisés en ichthyologie contactés par Le Devoir pour discuter des risques liés à l’AIS, et qui ont requis l’anonymat, ont simplement indiqué que ce type de projet mériterait une analyse de risque plus poussée avant d’être autorisé ou refusé.
Au ministère de l’Environnement du Québec, on a rappelé que les promoteurs n’ont pas à produire d’étude d’impact pour leur projet. Le ministère doit toutefois autoriser le prélèvement de l’eau dans le Saint-Laurent, afin d’alimenter le bassin de cinq millions de litres prévu pour chaque site.
Québec doit aussi accorder un certificat d’autorisation au projet, avant que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation ne lui octroie un permis pour le démarrage d’une telle activité commerciale. En attendant, CanAquaculture a inscrit quatre lobbyistes au registre québécois. Un de leurs mandats est lié à une demande de prêt ou de subvention de la part du gouvernement.