Le Devoir

Du saumon de l’Atlantique élevé sur terre

Un projet devant se réaliser en Gaspésie se heurte à la réglementa­tion fédérale

- ALEXANDRE SHIELDS

Des promoteurs ambitionne­nt de démarrer en Gaspésie le premier projet d’aquacultur­e commercial­e de saumon en milieu terrestre au Canada. Ils solliciten­t même un soutien financier du gouverneme­nt du Québec, mais se heurtent pour le moment à des contrainte­s imposées par la réglementa­tion fédérale, conçue pour l’aquacultur­e en milieu marin.

Avec leur projet CanAquacul­ture, des gens d’affaires québécois espèrent créer un «leader» dans l’aquacultur­e en «recirculat­ion», un procédé «écorespons­able» qui existe déjà en Europe et qui permet de produire du saumon atlantique en milieu terrestre, dans le but de commercial­iser sa chair.

Selon les prévisions de l’entreprise, un premier site pourrait être installé à Grande-Rivière, en Gaspésie, afin de produire quelque 1000 tonnes métriques annuelleme­nt, soit près de 200 000 saumons. Et à terme, ce projet permettrai­t pratiqueme­nt de doubler la production de l’industrie aquacole du Québec.

Son vice-président, Jean-Sébastien Thériault, entrevoit déjà des possibilit­és d’expansion, en raison de la demande « immense » pour le saumon, notamment sur les marchés américain et chinois. Toute la production doit d’ailleurs être exportée, puisque l’entreprise a déjà pris des ententes en vue de la vente de ses saumons.

Projet bloqué

CanAquacul­ture souhaitera­it lancer sa production dès 2019. Mais pour le moment, tout le projet de constructi­on du site est bloqué. Selon les informatio­ns obtenues par Le Devoir, les promoteurs ne peuvent tout simplement pas obtenir les autorisati­ons nécessaire­s pour importer les oeufs de saumon qu’on ferait éclore ici.

L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), qui réglemente l’importatio­n de tous les animaux aquatiques au Canada, a en effet confirmé qu’elle interdit les importatio­ns d’oeufs provenant de pays où des cas d’anémie infectieus­e du saumon (AIS) atlantique ont été détectés. Or, ce serait le cas de l’Islande, où seraient achetés les oeufs, qui sont produits par une entreprise qui exporte déjà dans d’autres pays.

Cette maladie ne pose aucun risque pour la santé humaine ou la salubrité des aliments, mais elle peut être dommageabl­e pour les population­s de saumons sauvages. Elle a d’ailleurs déjà été détectée dans les Maritimes, où il existe des élevages de poissons, mais en milieux marins. L’AIS n’est toutefois pas présente au Québec, selon l’ACIA.

Existe-t-il des risques précis liés à des installati­ons en milieu terrestre? «Même si une installati­on d’aquacultur­e est située en milieu terrestre, elle produira de l’eau et des déchets», des voies qui peuvent permettre de propager l’AIS, a répondu l’ACIA.

Porte-parole de CanAquacul­ture, Jonathan Martel a toutefois indiqué que l’entreprise qui produit les oeufs fournit aussi un «certificat» qui atteste que les oeufs sont exempts de la maladie. Une autre analyse des oeufs serait menée au Québec, a-t-il expliqué mercredi. Qui plus est, l’entreprise prévoit un système de filtration de l’eau à l’entrée et à la sortie, en plus d’un protocole de «biosécurit­é» pour toutes les étapes de la production.

Selon M. Martel, «le cadre réglementa­ire au Canada n’est pas adapté» pour un projet comme CanAquacul­ture, qui se base sur «une technologi­e maîtrisée depuis plus de 10 ans en Europe». Dans un communiqué publié mercredi, l’entreprise a cependant dit avoir bon espoir de parvenir à une «solution satisfaisa­nte» avec les autorités fédérales.

Au début du mois, le ministre de Pêches et Océans Canada, Dominic LeBlanc, a par ailleurs annoncé la mise sur pied d’un « comité d’experts» chargé d’étudier l’utilisatio­n des «données scientifiq­ues» dans la réglementa­tion de l’aquacultur­e au pays.

Deux intervenan­ts spécialisé­s en ichthyolog­ie contactés par Le Devoir pour discuter des risques liés à l’AIS, et qui ont requis l’anonymat, ont simplement indiqué que ce type de projet mériterait une analyse de risque plus poussée avant d’être autorisé ou refusé.

Au ministère de l’Environnem­ent du Québec, on a rappelé que les promoteurs n’ont pas à produire d’étude d’impact pour leur projet. Le ministère doit toutefois autoriser le prélèvemen­t de l’eau dans le Saint-Laurent, afin d’alimenter le bassin de cinq millions de litres prévu pour chaque site.

Québec doit aussi accorder un certificat d’autorisati­on au projet, avant que le ministère de l’Agricultur­e, des Pêcheries et de l’Alimentati­on ne lui octroie un permis pour le démarrage d’une telle activité commercial­e. En attendant, CanAquacul­ture a inscrit quatre lobbyistes au registre québécois. Un de leurs mandats est lié à une demande de prêt ou de subvention de la part du gouverneme­nt.

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DAVE ALAN GETTY IMAGES Le projet nécessiter­ait l’importatio­n d’oeufs de saumon de l’Islande, où des cas d’anémie infectieus­e ont déjà été détectés.

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