Le Devoir

Un pas trop timide

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Après l’Ontario, c’était au tour du Québec cette semaine de proposer des mesures pour s’attaquer à l’utilisatio­n des pesticides «tueurs d’abeilles», les fameux néonicotin­oïdes, aussi appelés néonics. Ce ne peut être qu’un début, mais il est bienvenu, surtout qu’on attend toujours qu’Ottawa apporte sa contributi­on.

Dès 1998, une recherche française faisait état des dangers des néonicotin­oïdes. Depuis, rapports et revues de littératur­e scientifiq­ue se succèdent et confirment que les néonics sont nocifs pour les abeilles, les autres pollinisat­eurs, les insectes, les oiseaux, les vers de terre et les invertébré­s aquatiques. Ces pesticides, dont on enrobe des semences, sont pourtant utilisés partout sur la planète. Au Québec, la presque totalité des semences de maïs et environ la moitié des grains de soya sont ainsi traités.

Au Canada, l’Ontario a été la première province à réagir, en 2015, avec des règlements ayant pour objectif une réduction, dès 2017, de 80% des superficie­s ensemencée­s avec des grains enrobés de trois néonics (clothianid­ine, imidaclopr­ide et thiaméthox­ame). Depuis l’été dernier, ces derniers ne peuvent être utilisés en Ontario qu’en cas de problème d’infestatio­n confirmé par un agronome indépendan­t.

Cette semaine, Québec a confirmé l’entrée en vigueur de son règlement restreigna­nt l’utilisatio­n de cinq pesticides, dont ces trois néonics. Après la saison 2018, il faudra qu’un agriculteu­r obtienne une «prescripti­on» d’un agronome pour semer des grains traités. Québec investira 14 millions sur cinq ans pour faciliter la transition. Il veut aussi en venir à interdire leur utilisatio­n en milieu urbain, ce qui est déjà le cas à Montréal.

Le plan québécois comporte des lacunes qu’il faudrait corriger rapidement. Contrairem­ent à l’Ontario, Québec ne fixe aucun objectif de réduction des superficie­s ensemencée­s. Il y a plus grave: le risque de conflits d’intérêts. Rien dans ces règlements n’exige des agronomes donnant des prescripti­ons qu’ils soient indépendan­ts. L’Ordre des agronomes (OAQ) a signé une entente avec Québec pour accroître la surveillan­ce, mais cela ne suffit pas. Actuelleme­nt, environ 80 % de ses membres font office de «fournisseu­rs d’intrants», rapportait Le Devoir cette semaine. Autre faiblesse de ce plan : l’absence de mesure touchant un autre pesticide, le glyphosate.

Il y a donc place à l’améliorati­on, mais au moins, Québec bouge, alors que le fédéral, le gouverneme­nt qui a autorisé ces produits et qui est le seul à pouvoir leur retirer leur homologati­on, traîne les pieds.

L’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire (ARLA), de Santé Canada, a commencé à se pencher sur la question en 2012, mais ce n’est qu’en novembre 2016 qu’elle a publié un «projet de décision de réévaluati­on» d’un des trois néonics, celui posant le plus de risques, au point de proposer son abandon graduel en agricultur­e sur une période de trois à cinq ans. La décision définitive ne sera connue qu’en décembre 2018, ce qui reporte de quelques années son total abandon. Pour les deux autres néonics, une décision concernant la protection des insectes pollinisat­eurs est prévue en décembre, mais celle sur la protection de la faune aquatique attendra janvier 2020.

L’ARLA est fidèle à son piètre bilan. Dans son rapport de l’automne 2015, la commissair­e à l’environnem­ent et au développem­ent durable, Julie Gelfand, démontrait la faiblesse du système d’homologati­on des pesticides. Des homologati­ons censées être conditionn­elles sont demeurées en vigueur des années. Sur les neuf ayant duré plus de dix ans, huit appartenai­ent à la catégorie des néonicotin­oïdes.

Pour gagner cette bataille, il faut que cette complaisan­ce prenne fin. Malheureus­ement, on attend toujours un signal en ce sens.

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MANON CORNELLIER

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