Le Devoir

Se déguiser en « Noir » ?

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Dans Le Devoir du 16 février 2018, Christian Rioux rapportait la polémique qui a cours au sujet du festival de Dunkerque en France. La tradition, dit-il, coïncide avec le Mardi gras, une tradition qui remonterai­t aux fêtes des calendes de Mars célébrées dans la Rome antique, une époque où les interdits étaient transgress­és. «Un esclave pouvait même, dit-on, revêtir les habits de son maître.» Rioux explique la polémique en cours: «Des organisati­ons parisienne­s s’en sont prises à la Nuit des Noirs célébrée périodique­ment depuis plus de 50 ans et durant laquelle les fêtards portent des pagnes en raphia et se peignent le visage en noir. Des antiracist­es parisiens y ont vu une lointaine version française du blackface américain.» Il fustige le militant antiracist­e HenriGeorg­es Tin qui y constate «l’envers grimaçant de l’esclavage […] rendu tolérable, voire tout à fait divertissa­nt, aux yeux des peuples d’Occident» et rapporte avec une certaine jouissance les propos d’un socialiste qui a écrit dans le journal Le Monde que «la tradition dunkerquoi­se n’a rien à voir avec l’imaginaire américain, mais tout avec les sources mêmes du carnaval […], un moment où pendant quelques jours les différence­s sont abolies et les discrimina­tions abrogées». C’est alors qu’«une femme devient homme et un homme porte robe et perruque, un ouvrier joue les banquiers, un athée se fait ecclésiast­ique, un Blanc se fait Noir, un bon bourgeois se mue en bagnard». Mais de quel «Noir» s’agit-il ici? D’un bourgeois archi lettré, d’un esclave de plantation, d’un migrant illégal? D’un Africain du Sud, d’un Sénégalais, d’un Haïtien? Depuis quelques années, Rioux dénonce le politiquem­ent correct, parfois avec raison. Mais il n’a pas toujours raison. Dans le cas présent, justifier, tolérer que quelqu’un puisse se déguiser en «Noir» est un relent du racisme colonial, stupide et intolérabl­e. Se déguiser en «Noir» ou en «Indien», ce n’est pas la même chose que se déguiser en banquier ou en pirate. Heureuseme­nt, au Québec, on peut être fiers de ne pas avoir de ces fêtards qui portent des pagnes en raphia et se peignent le visage en noir. En tout cas, je l’espère ! Micheline Labelle, professeur­e émérite de sociologie, UQAM, et vice-présidente des Intellectu­els pour la souveraine­té Le 16 février 2018

Réponse du chroniqueu­r

À Dunkerque, où les costumes évoquent le temps des découverte­s, il n’a jamais été question de se déguiser en esclave. C’est vous qui semblez essentiali­ser les Noirs en les réduisant à cette image. Dans une société composée de citoyens, il n’y a pas d’espèces protégées. Demain, ce sera les Juifs, les femmes, les gitans, les gros, les clochards, les sorcières ou les gais. Autant interdire le carnaval et… la caricature. Christian Rioux

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