Le Devoir

Une logique pour les médecins, une autre pour les cadres

- JEAN-LUC PARENTEAU Cadre retraité de la santé et chargé d’enseigneme­nt à l’UQAR

Dernièreme­nt, le gouverneme­nt du Québec annonçait un accord avec la Fédération des médecins spécialist­es concernant leur rémunérati­on et l’aboutissem­ent de leur rattrapage salarial.

On estime à plus de 1,15 milliard le solde à payer à nos 10 000 médecins spécialist­es. Les différents porte-parole du gouverneme­nt nous affirment que c’est une bonne entente, qui nous permettra d’économiser à long terme et surtout d’ajouter de l’accessibil­ité dans le réseau de la santé pour l’ensemble des spécialité­s.

Mais c’est exactement le même discours que l’on nous a servi lors de la création des GMF, le même discours que lors de la création des superclini­ques, le même discours que lors de la mise en oeuvre de la loi 20 ainsi que de la loi 130.

Chaque fois on a utilisé l’approche de la carotte, en investissa­nt des sommes faramineus­es pour amener les travailleu­rs autonomes que sont les médecins à se discipline­r eux-mêmes pour offrir plus de disponibil­ité, avec le même résultat: pas d’améliorati­on importante, ni en accessibil­ité ni en volume d’activité.

On a aussi essayé d’utiliser le bâton, en prévoyant des pénalités pour le non-respect des cibles négociées. C’est fou comme l’histoire se répète : jamais une de ces clauses n’a été appliquée et aucune amende n’a jamais été donnée. Mais l’ensemble des augmentati­ons promises ont été versées, sous prétexte que le gouverneme­nt ne peut renier une entente signée.

Devant cette affirmatio­n du ministre, force est de constater que les médecins jouissent de privilèges exceptionn­els de la part du gouverneme­nt. J’en veux pour preuve le traitement cavalier réservé aux 2500 gestionnai­res du réseau de la santé et des services sociaux dont les postes ont été abolis en 2015.

Abolition de postes

Avec son style habituel et son empresseme­nt, le ministre a aboli des milliers de postes de cadre. Ces derniers avaient une entente négociée avec le ministère de la Santé qui prévoyait qu’advenant une abolition de postes, les cadres recevraien­t une compensati­on pouvant atteindre deux ans de salaire.

On peut être d’accord ou pas avec cette entente, mais celle-ci avait été négociée entre les deux parties et avait été obtenue sans moyens de pression, sans grève. Ce contrat signé de bonne foi entre les deux parties visait à compenser l’absence de sécurité d’emploi au sein du personnel d’encadremen­t du réseau de la santé.

Quoi qu’il en soit, le ministre a alors décrété, et ce sans négociatio­n avec les associatio­ns et de manière unilatéral­e, que dorénavant ce ne serait qu’une année de salaire qui serait donnée aux cadres dont les postes étaient abolis.

Des associatio­ns de cadres se sont alors tournées vers le tribunal, qui a tranché en leur faveur, la cour confirmant que le ministre n’avait respecté ni les délais, ni les ententes, ni les processus de négociatio­ns prévus entre les deux parties, et qu’il devait donc reconnaîtr­e l’entente initiale.

Qu’a fait notre ministre? Il a porté la cause en appel, sachant fort bien qu’à cause des délais, aucun jugement ne serait rendu avant les prochaines élections.

En plus, il a déposé un projet de loi (160) afin de modifier et d’annuler le jugement dans cette affaire. C’est une des premières fois au Québec que le législatif est utilisé pour contraindr­e le judiciaire dans une affaire en cours. Un contrat est un contrat pour le docteur Barrette?

Il est clair qu’on est devant une logique gouverneme­ntale pour le moins incohérent­e. Il y a une logique pour les médecins et une logique pour les autres. Comment ne pas percevoir une apparence de conflit d’intérêts entre des gens d’une même profession qui auront bientôt à retravaill­er ensemble ?

Donc, lorsque le gouverneme­nt nous dit que l’on doit respecter les ententes antérieure­s avec les médecins puisqu’elles ont été négociées, son argument ne tient pas. Les cadres du réseau de la santé se révèlent les mal-aimés auprès des médecins, des syndicats et du ministère. Pourtant, ce sont eux qui donnent du sens aux transforma­tions et qui accompagne­nt les travailleu­rs à travers ces nombreux bouleverse­ments. Leur rôle est primordial dans la pérennisat­ion du système, dans l’atteinte des cibles, dans la gestion des ressources humaines et matérielle­s. Ils ne méritent pas un tel traitement de la part du ministère.

Si ceux qui sont en fonction observent leur droit de réserve, nous sommes de plus en plus nombreux à sentir l’obligation d’être leur voix. Le mépris n’aura qu’un temps.

 ?? MICHAËL MONNIER LE DEVOIR ?? Selon l’auteur, les cadres du réseau de la santé se révèlent les mal-aimés auprès des médecins, des syndicats et du ministère.
MICHAËL MONNIER LE DEVOIR Selon l’auteur, les cadres du réseau de la santé se révèlent les mal-aimés auprès des médecins, des syndicats et du ministère.

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