Le Devoir

Le Québec en déficit de littératie

- GÉRARD BÉRUBÉ

Tant au sens propre qu’au sens figuré, l’économie de la littératie rattrape le Québec. Aux prises avec un problème criant d’analphabét­isation, le Québec fait face à un problème d’employabil­ité.

Sur la seule base de l’impact économique, il est socialemen­t très rentable d’investir dans l’améliorati­on des compétence­s en matière de littératie. L’analyse réalisée par l’économiste Pierre Langlois pour la Fondation pour l’analphabét­isation et le Fonds de solidarité FTQ calcule qu’«en améliorant ses compétence­s en matière de littératie pour assurer la compréhens­ion des textes plus complexes et longs avec plusieurs informatio­ns, un jeune travailleu­r québécois peut espérer un gain de revenus totaux de 202 142$ au cours de sa carrière» et générer des retombées fiscales de 35 %.

Sur une base plus macroécono­mique, uniquement pour combler son retard avec l’Ontario, « 352 350 Québécois doivent atteindre minimaleme­nt le niveau 3 du Programme pour l’évaluation internatio­nale des compétence­s des adultes (PEICA). Ce faisant, 306 367 travailleu­rs améliorera­ient leurs revenus en lien avec une hausse de leurs compétence­s en littératie» et 45 983 prestatair­es de programmes sociaux améliorera­ient leur employabil­ité et se retrouvera­ient en situation d’emploi, poursuit l’étude, dont les conclusion­s ont été publiées mercredi. Autrement dit, 67% des prestatair­es n’atteignent pas le niveau 3.

Et l’auteur d’ajouter que l’effet direct sur le PIB nominal québécois serait de 4,9 milliards sous l’action d’une hausse du revenu disponible, soit une augmentati­on de 1,4%. «Les deux paliers gouverneme­ntaux feraient quant à eux des économies annuelles de 328 millions.» Il se réfère aussi à des études antérieure­s démontrant que les retombées à long terme de l’investisse­ment en littératie sont près de trois fois plus importante­s que celles de l’investisse­ment en capital physique.

Malgré le peu de données disponible­s et la difficile comparaiso­n dans le temps, il est permis d’affirmer que le pourcentag­e de Québécois n’atteignant pas le niveau acceptable oscille entre 47,5% et 53,3% depuis 1989. L’étude donne la mesure du retard du Québec tant par rapport à l’Ontario que par rapport à la moyenne canadienne et à celle de l’OCDE. La proportion des 16 à 65 ans n’atteignant pas le niveau 3 est de 53 % au Québec, de 52% pour la moyenne de l’OCDE, de 49% au Canada et de 46,8 % en Ontario.

«En améliorant ses compétence­s en matière de littératie [...], un jeune travailleu­r québécois peut espérer un gain de revenus totaux de 202 142$ au cours de sa carrière»

Analphabèt­e fonctionne­l

Et ce n’est pas essentiell­ement une affaire de décrochage scolaire. « Malgré l’obtention d’un DES, 24,1% des Québécois de 16 à 65 ans ne dépassent pas le niveau 2 et 8,85 % ont à la fois fait des études postsecond­aires (sans diplomatio­n universita­ire) tout en n’atteignant pas le niveau 3 en littératie.» L’auteur parle, ici, de 2,2 millions de diplômés scolarisés.

À cette majorité de Québécois entrant dans la définition des analphabèt­es fonctionne­ls se greffe la dynamique d’un secteur manufactur­ier se retrouvant au coeur d’une quatrième révolution industriel­le, sous l’assaut du phénomène de délocalisa­tion, de l’automatisa­tion et de l’intelligen­ce artificiel­le. «Dans la maind’oeuvre manufactur­ière québécoise, près de deux travailleu­rs sur trois ont des enjeux de littératie (niveau 2 et moins). »

Quant aux pistes de solution, elles se heurtent à d’autres enjeux se posant à l’économie québécoise. On pense au choc démographi­que, à la pénurie de main-d’oeuvre, aux projection­s favorisant les emplois faiblement qualifiés au cours des dix prochaines années. Sans oublier l’intégratio­n des immigrants et ses considéran­ts en matière de reconnaiss­ance des compétence­s et de connaissan­ce de la langue française.

On le voit, la réduction du déficit en littératie et en numératie n’est pas qu’un appel lancé au système d’éducation, même si 14% des Québécois n’obtiennent pas de diplôme d’études secondaire­s (DES) et n’atteignent pas le niveau 3. Elle interpelle les entreprise­s et appelle à un investisse­ment en formation continue en milieu de travail, insiste l’auteur de l’étude.

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