De surprise en étonnement
Il y a des histoires qui s’écrivent toutes seules, même plus besoin d’inventer quoi que ce soit pour se rendre intéressant. Il n’y a qu’à cueillir la réalité toute crue, toute bête, c’est meilleur qu’un roman, dont on dirait d’ailleurs qu’il est franchement mauvais s’il avait la témérité de l’évoquer.
La semaine dernière, vous pouviez lire ici que le tournoi de curling mixte s’était déroulé «rondement», sans anicroche, malgré de compréhensibles appréhensions quant aux effets potentiellement délétères de la discipline sur les relations de couple. Bondance que cela suintait la naïveté. Si l’histoire nous a appris une chose, c’est bien l’urgence d’attendre. Hé, on retire encore de nos jours des médailles de Pékin, de Londres ou de Sotchi. Pourquoi se presser de tirer des conclusions ? Untel, unetelle a gagné la médaille d’or? Conservons une saine distance intellectuelle. Les fake news ne nous laisseront plus jamais roupiller tranquille, d’autant moins que tout cela se déroule en pleine nuit pour mieux nous berner. (Veuillez excuser l’expression anglaise, c’est une commande de Hockey Canada. Dont l’équipe, j’espère que vous l’aurez remarqué, est maintenant en demi-finales en dépit de l’absence de Carey Price, ce qui force à un certain respect.)
Donc, le curleur olympique de Russie couvert de bronze au double mixte, Aleksandr Krushelnitckii, a échoué à un test antidopage. Au meldonium, une substance lettone qui, selon des chimistes consultés, permet de faire le vide en vous-même lorsque vous devez effectuer une triple sortie et expédier votre propre pierre hors de la maison afin de conserver le marteau. Une substance qui ne peut pas ne pas avoir été connue d’un compatriote de Maria Sharapova, elle-même contrainte à une année sabbatique et quart pour avoir mal lu le prospectus de la Women’s Tennis Association.
On vous aurait glissé cela dans le creux du tympan alors que vous vous prépariez à vous délecter d’une quinzaine propre au pays du Matin calme, vous auriez congédié votre interlocuteur sans autre forme de procès auprès du Tribunal arbitral du sport. Un Russe. Un joueur de curling. Un joueur de curling mixte. Tu me niaises.
Mais non. On a beau gagner sa pitance à faire accroire des affaires au monde, il y a des jours où il faut savoir s’incliner devant la vérité et la relayer sans faire de chichis.
Et ce serait tout s’il n’y avait autre chose. Car la partenaire de Krushelnitckii à Pyeongchang était Anastasia Bryzgalova. (Note qui n’a rien à voir: plusieurs ont dit de Bryzgalova qu’elle a le profil parfait pour camper le rôle d’une agente de l’ennemi dans un film de James Bond. Sauf que 007, de toute évidence, ne joue pas au curling. Il serait plutôt porté sur le biathlon: il se sauve en ski de fond et ne s’arrête que pour tirer sur les méchants.)
Et Bryzgalova est la femme de Krushelnitckii. Sa légitime épouse. Vous imaginez le genre de climat que cela va créer à la maison? Vous avez le droit de penser que le mot « mordeuse » peut avoir d’autres sens que dans le 12 pieds. Au figuré, il va sans dire.
À moins, bien sûr, qu’il n’y ait une explication au-delà de l’étourderie, ou de la tricherie délibérée doublée de la conviction qu’il y aurait encore des trous dans le mur du labo. C’est ce qu’a donné à entendre le patron du curling russe: le geste était résolument stupide, et Krushelnitckii n’est pas un homme stupide. Ça s’est donc fait à son insu. Il a été victime de sabotage. D’un complot ourdi par une puissance étrangère désireuse de nuire à l’image de marque de la Russie. La puissance étrangère en question, malheureusement non identifiée, a profité d’un centième de seconde d’inattention du sujet pour ajouter une dose de meldomachin à son petit-déjeuner santé ou à sa boisson diète.
S’il le dit, ça doit être vrai. L’enquête s’annonce passionnante.
Quand des athlètes finissent parmi les trois premiers d’une épreuve à Pyeongchang, ils montent immédiatement après sur un podium aménagé sur les lieux mêmes de la compétition. À cet endroit, ils reçoivent un toutou en forme de tigre. Si jamais vous voulez impressionner la galerie en prétendant que vous avez manqué la dernière réunion de suivi des orientations parce que vous étiez occupé à remporter le concours de saut à ski grand tremplin à l’autre bout du monde, vous pouvez vous procurer la même peluche en ligne pour environ 25$. Vous pourrez aussi épater encore davantage en annonçant que vous avez payé dix fois le prix sur un site de revente.
Ce n’est que plusieurs heures plus tard, lors d’une cérémonie tenue à la Plaza des médailles — vous, c’est votre affaire, mais personnellement, j’aimerais bien avoir comme adresse postale «10 bis, Plaza des médailles», ça fait champion en diable —, qu’ils peuvent enfin toucher leur breloque et faire semblant qu’elle goûte bon.
Il s’agit d’un moment privilégié pour le spectateur parce que non seulement il peut voir les gagnants en liesse et entendre les hymnes nationaux de tous les pays sauf un, il peut également se familiariser avec les grands de ce monde qui passent les médailles autour du cou des meilleurs.
Tenez, l’autre jour, j’ai ressenti un frisson dans la région en assistant à la remise des médailles du super-G féminin. Il y avait là, et je cite le texte, «Son Altesse sérénissime la princesse Nora de Liechtenstein». Remarquez, c’était là une version écourtée, probablement question de demeurer modeste. Ils n’ont pas dit que Norberta Elisabeth Maria Assunta Josefine Georgine, de son vrai prénom, membre du Comité international olympique, est aussi comtesse de Rietberg et marquise douairière de Marino.
Non mais, une douairière sérénissime? Par-delà les exploits athlétiques, les Jeux olympiques sont un authentique appel à la beauté, même pour les gueux et les roturiers de notre espèce. On dit : merci la vie.