Le Devoir

Faire entendre ceux qu’on ne voit pas

Invisibles donne une voix forte aux jeunes fugueuses, ainsi qu’à ceux qui les cherchent

- MARIE LABRECQUE

INVISIBLES Texte de Guillaume Lapierre-Desnoyers. Mise en scène d’Édith Patenaude. Production de StukoThéât­re. Jusqu’au 16 mars, à La Petite Licorne.

« Tout le monde les ignore, par choix. » Invisibles renvoie à ces jeunes femmes marginalis­ées qui, pour n’avoir pas trouvé leur place dans la société, ou pour fuir pire encore, errent dans ses franges dangereuse­s, transformé­es en proies faciles de la violence et du viol.

Chloé (juste Noémie O’Farrell) a 15 ans, une révolte grosse comme une maison de banlieue, et crache son mépris pour l’univers de «beigitude» de sa pauvre mère, bien intentionn­ée mais dépassée.

En quête de liberté, l’adolescent­e part sillonner les routes américaine­s, voyageant sur le pouce d’un truck stop à l’autre. Elle y rencontre Stacy, qui a adopté ce précaire et risqué mode de vie depuis déjà cinq ans afin d’échapper à un contexte familial abusif. Pendant que les mois s’écoulent, la mère dévastée et un détective dévoué espèrent retrouver Chloé. Ou le redoutent.

Le texte de Guillaume Lapierre-Desnoyers (auteur du polar Pour ne pas mourir ce soir) ne manque pas de force, une certaine poésie cohabitant avec d’incontesta­bles accents de vérité. Son récit mené à quatre voix, selon une structure habile qui navigue sans heurts du dialogue à la narration directe, expose combien la fugue est une souffrance qui affecte tous ceux concernés. Le policier qui cherche et la mère (crédible Josée Deschênes) qui attend, impuissant­e, portent aussi un poids de douleur. Et de colère. Particuliè­rement cette dernière, qui d’un peu ridicule au départ devient poignante dans son incompréhe­nsion face à l’injuste révolte de la fille qui l’a abandonnée.

Le personnage de l’enquêteur apporte un regard parfois un peu plus sociologiq­ue — chiffres à l’appui — sur cette réalité tragique des disparitio­ns. Heureuseme­nt, il est porté par Steve Laplante, un comédien sensible, humain, d’une grande justesse.

Mais toute la distributi­on est irréprocha­ble. Surtout, Alice Moreault — vue précédemme­nt dans Psychédéli­que Marilou — révèle une vérité et une présence exceptionn­elles en jeune nomade déjà endurcie par la survie.

La mise en scène rigoureuse d’Édith Patenaude maintient ce récit d’itinérance sous une tension soutenue. Avec sa trappe ouverte vers l’ailleurs et son plancher incliné, l’espace central dessiné par Patrice Charbonnea­u-Brunelle traduit très éloquemmen­t le quotidien incertain, inconforta­ble des deux adolescent­es sur la route.

Seules les quelques images projetées sur le fond du décor, qui ancrent l’histoire dans le réel, me semblent superflues tant la pièce, déjà imprégnée de justesse, n’en avait pas besoin.

Newspapers in French

Newspapers from Canada