Le Devoir

Montréal échoue à faire annuler le salaire de Paolo Catania

Son entreprise est en liquidatio­n et la Ville lui réclame 23,7 millions, mais l’homme d’affaires a droit à une rétributio­n annuelle de 468 000 $

- JEANNE CORRIVEAU

Même si le groupe d’entreprise­s qu’il dirigeait est en liquidatio­n et qu’il fait face à des accusation­s de fraude et de complot, Paolo Catania touche un salaire de 468 000$. La Ville de Montréal, qui cherche à récupérer des millions de dollars qu’elle juge avoir payés en trop à cause de la collusion, a demandé en vain à la Cour supérieure de suspendre le versement de la rémunérati­on de M. Catania.

Visé par des poursuites et placé dans une position où il lui devenait difficile de poursuivre ses activités, le Groupe Catania, qui réunit plusieurs filiales dont Constructi­on F. Catania, avait entrepris un processus de liquidatio­n de ses actifs en 2014. La firme Pricewater­houseCoope­rs (PWC) avait alors été désignée comme contrôleur dans ce dossier.

Quelques mois plus tard, la Ville de Montréal a déposé auprès de PWC une réclamatio­n de 23,7 millions de dollars pour les dommages qu’elle disait avoir subis en raison de «contrats truqués» impliquant Constructi­on F. Catania. Quatre ans plus tard, le dossier n’est toujours pas réglé. Une des filiales du Groupe Catania, Développem­ent Lachine Est (DLE), a été maintenue en activité pour compléter la vente de terrains dans le cadre du projet immobilier VillaNova, à Lachine.

Paolo Catania avait aussi été arrêté par l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC) en mai 2012, en même temps que huit autres personnes, dont Frank Zampino, ancien bras droit du maire Gérald Tremblay. Accusés d’avoir participé à un complot pour gonfler la facture de décontamin­ation du terrain du Faubourg Contrecoeu­r, ils viennent d’ailleurs de subir leur procès. Le juge Yvan Poulin rendra son verdict le 2 mai prochain.

Le processus de liquidatio­n du Groupe Catania n’a pas empêché Paolo Catania de recevoir un salaire que la Ville de Montréal juge trop généreux, soit 468 156$ en 2017, selon un document fourni aux élus en prévision de la réunion du comité exécutif ce mercredi. Jean Gagnon, représenta­nt du liquidateu­r Raymond Chabot qui a pris le relais de PWC, confirme ce montant.

Deux autres anciens administra­teurs de l’entreprise ont aussi été embauchés par le liquidateu­r

Dans le cadre d’un emprunt effectué pour la filiale DLE, la Ville s’est opposée, devant le tribunal, à ce que le liquidateu­r continue de verser un salaire, non seulement à Paolo Catania, mais également à André Fortin (271 908$) et à Martin D’Aoust (234 500$ comme frais de consultati­on par l’intermédia­ire d’une compagnie), eux aussi accusés dans le dossier du Faubourg Contrecoeu­r. La Ville estime que le versement de ces «salaires élevés» est susceptibl­e de diminuer les sommes qu’elle pourrait éventuelle­ment récupérer.

Le 24 janvier dernier, la Cour supérieure a rejeté la demande de la Ville, concluant que la présence des anciens administra­teurs permettait au liquidateu­r de bénéficier de leurs connaissan­ces pour poursuivre l’exécution de son mandat et que cette option est moins coûteuse que le recours aux ressources internes du syndic.

Les salaires avaient été déterminés en vertu d’une entente réalisée en 2014 par l’ancien liquidateu­r, PWC, a précisé Jean Gagnon. «Il y a eu des comparaiso­ns avec le travail qui a été fait avant, la rémunérati­on versée auparavant et le travail qui est fait depuis la liquidatio­n», dit-il. «On n’est pas là pour faire le procès de M. Catania. On est là pour livrer des choses dans le dossier. On a beau argumenter sur le passé de ces gens-là, sur ce qu’ils ont pu faire ou causer, mais s’ils n’étaient pas là pour nous accompagne­r et nous aider dans le processus de liquidatio­n, on aurait un sérieux problème. Il y a des avantages nettement plus grands que les payes qui leur sont versées.»

Dans sa décision, la Cour supérieure rejette aussi les craintes de la Ville selon lesquelles les anciens dirigeants de Catania reçoivent des sommes au détriment des créanciers. «Ceux-ci devront avoir été entièremen­t payés de leurs créances avant que les anciens dirigeants et actionnair­es des sociétés en liquidatio­n ne reçoivent quelque somme que ce soit de la liquidatio­n», note la juge Lucie Fournier dans sa décision.

Jean Gagnon n’a pas voulu divulguer les détails sur le portrait financier du Groupe Catania ni présumer des possibilit­és de remboursem­ent des créanciers. «Il est encore trop tôt pour donner cette informatio­n, mais si on est encore en liquidatio­n, c’est qu’on pense qu’il y a une avenue qui va permettre à la Ville de récupérer des sommes », a-t-il indiqué.

En 2016, le Groupe Catania s’était inscrit au Programme de remboursem­ent volontaire instauré par Québec. «Il n’y a pas eu d’entente à l’intérieur du délai. Les discussion­s se poursuiven­t », a commenté Jean Gagnon.

De son côté, la Ville a fait appel à une firme d’avocats externe, IMK, pour la représente­r dans ce dossier complexe et elle a dépensé à ce jour 320 000$ en honoraires. Mercredi, le comité exécutif sera appelé à entériner un montant supplément­aire de 100 000 $.

Terrain contaminé

Quant au dossier du projet immobilier VillaNova, à Lachine, il n’a pas progressé comme prévu. En 2011, le terrain avait été déclaré décontamin­é après que des travaux de réhabilita­tion eurent été réalisés par l’ancien propriétai­re. En 2016, après avoir réalisé des tests, le liquidateu­r PWC a constaté que le terrain était toujours contaminé par des métaux lourds. Le projet immobilier de 500 habitation­s a dû être suspendu.

La mairesse de Lachine, Maja Vodanovic, qui avait suivi de près le dossier lorsqu’elle était conseillèr­e, a précisé au Devoir que les travaux de décontamin­ation ont été réalisés par DLE et que l’arrondisse­ment a accordé un délai supplément­aire de 3 mois pour la constructi­on des infrastruc­tures d’aqueducs et d’égouts ainsi que l’applicatio­n d’une première couche d’asphalte sur les rues. « Aucun permis de constructi­on ne sera accordé avant que ces infrastruc­tures soient complétées», a-t-elle dit. « Je suis fière qu’on ait évité le pire. »

En août dernier, l’ex-maire Denis Coderre avait ordonné que des vérificati­ons soient faites afin de comprendre ce qui avait pu se produire. La situation n’a toujours pas été éclaircie, a reconnu Mme Vodanovic.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Visé par des poursuites, Paolo Catania a choisi de liquider ses entreprise­s en 2014. Le processus est toujours en cours.

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