Le Devoir

Le ministre de l’Éducation veut former un corps enseignant d’élite

Sébastien Proulx veut débattre d’un ordre profession­nel et d’enseignant­s plus scolarisés

- MARCO FORTIER

Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, propose une vaste réflexion pour valoriser la profession d’enseignant, qu’il considère comme «l’emploi le plus important dans une société ». Il envisage une série de mesures pour réser ver ce métier à « l’élite » intellectu­elle.

Création d’un ordre des enseignant­s, diplôme universita­ire de deuxième cycle obligatoir­e, évaluation des professeur­s, le ministre de l’Éducation lance un grand brassage d’idées. Le statu quo est impensable, affirme-t-il dans un livre qui paraît mardi. « Il faut une révolution, pour passer à une valorisati­on [de la profession] au point de sélectionn­er l’élite pour occuper l’emploi le plus important dans une société. Cette réflexion vaut pour l’ensemble de la société. Il faut cesser de résister à changer lorsque cela s’impose», écrit Sébastien Proulx dans le livre Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire, publié aux Éditions du Septentrio­n.

Il dit avoir écrit d’un trait ce livre de 144 pages, durant le congé des Fêtes, il y a deux mois. Le ministre décrit la lecture et la culture générale comme un tremplin vers la formation de citoyens libres, capables de résister à la démagogie. Et il met la table pour une nouvelle série de changement­s dans le réseau préscolair­e, primaire et secondaire. Comme ses idoles Churchill, Lincoln et Napoléon Ier, le ministre Proulx dit être allergique au conformism­e.

Le Québec doit s’inspirer des meilleures pratiques dans le monde en éducation, estime l’homme politique, qui fêtera ses 43 ans le mois prochain. La Finlande l’inspire. Comme ce pays scandinave, le Québec gagnerait à se doter d’enseignant­s ayant une maîtrise, selon lui.

Il dit souhaiter des «conversati­ons franches et ouvertes» entre les enseignant­s, les syndicats et le gouverneme­nt, hors du cadre formel des relations de travail. «Tout n’est pas qu’une question de relations de travail. Au contraire. Je lance ici

« Tout n’est pas qu’une question de relations de travail. Je lance ici un appel à une réelle conversati­on.»

un appel à une réelle conversati­on! Une conversati­on qui ne sera pas soumise à un échéancier trop court et à des objectifs convenus d’avance, de part et d’autre», écrit Sébastien Proulx.

« On doit se donner un espace libre où on est capables, sans contrainte de temps, de se dire: qu’est-ce qui ne marche pas, qu’est-ce qui doit changer?», dit le ministre Proulx en entrevue. Il imagine déjà «la création d’un ordre profession­nel, en contrepart­ie duquel nous pourrons protéger cet espace d’autonomie essentiel pour les enseignant­s ».

Changement­s à l’horizon

Nommé ministre de l’Éducation il y a deux ans, Sébastien Proulx sait bien que ses propositio­ns touchent une corde sensible pour les professeur­s. La création d’un ordre des enseignant­s divise la profession, c’est le moins qu’on puisse dire. Les syndicats s’y opposent. Toutes les tentatives d’aller vers cette voie ont échoué depuis une quinzaine d’années.

Le ministre réfléchit aussi à la mise en place d’un plan d’insertion profession­nelle pour favoriser la rétention des nouveaux enseignant­s en début de carrière — 25% quittent la profession avant leur cinquième année de métier. «On ne peut aborder la question de la formation initiale et de la formation continue sans aborder celle de l’évaluation des enseignant­s. Il s’agit selon moi d’une réflexion et d’une discussion qu’il faudra faire sous peu. »

Vaste chantier, qui risque de soulever les passions. Le ministre affirme que les Québécois doivent s’adapter et accepter le changement sous peine de perdre leur «position privilégié­e dans le monde moderne». Des pays autrefois sous-développés, comme l’Inde ou la Chine, se transforme­nt à grande vitesse en faisant de l’éducation leur priorité.

Le ministre Proulx plaide pour que l’éducation devienne une véritable priorité nationale. Le développem­ent du numérique et de l’intelligen­ce artificiel­le rend la littéracie encore plus essentiell­e qu’autrefois, mais la moitié des adultes québécois éprouvent des difficulté­s à lire et à écrire.

Son propre gouverneme­nt a pourtant forcé le ministère de l’Éducation à se serrer la ceinture au nom de la «rigueur budgétaire» entre les années 2014 et 2017. Les syndicats déplorent que les conséquenc­es des coupes se fassent encore sentir dans les classes — pénurie d’enseignant­s et de profession­nels, comme des orthophoni­stes, des psychologu­es, des psychoéduc­ateurs, etc.

Les forces du statu quo

«Il faut reconnaîtr­e que la croissance des dépenses a été plus faible, en éducation comme dans les autres ministères. On a fait un effort collectif », admet Sébastien Proulx.

«Maintenant, on est ailleurs. On réinvestit des sommes nouvelles dans des secteurs et on investit dans d’autres secteurs. Il y a une amorce de transforma­tion. Jamais on n’a eu autant d’embauches en éducation — 8000 embauches en cinq ans. Et je parle sans cesse d’alphabétis­ation. C’est une responsabi­lité de l’État », précise-t-il.

Le gouverneme­nt est prêt à proposer des réformes, et le milieu de l’éducation doit aussi s’ouvrir aux changement­s, selon le ministre. Il affirme pourtant que les «gardiens du statu quo » sont plus nombreux que les «accélérate­urs de changement». Il ne vise «aucun groupe en particulie­r».

«Notre société est en mutation […]. Certains nient l’existence même de ces changement­s sociaux. Plusieurs les rejettent. Ils préfèrent le confort ou ne rien faire, par paresse, par peur, ou encore par manque de connaissan­ces. […] Je fais référence à celles et ceux qui nient la réalité, qui refusent les constats et les faits et qui s’opposent à toute modificati­on ou transforma­tion de fond des systèmes ou des institutio­ns. On ne parle pas ici de conservati­sme. On est en présence de réels tenants du statu quo. […] Nous sommes là, à la frontière du corporatis­me », écrit Sébastien Proulx.

Sébastien Proulx interpelle non seulement les enseignant­s, mais aussi les commissair­es scolaires, dont il compte redéfinir le rôle. Les commission­s scolaires resteront en place, mais les élus «devront cesser de travailler tournés uniquement vers l’école [et] s’ouvrir à la communauté. Il faut prendre en charge tous les enfants, et pas seulement les élèves ou les adultes. Cela dépasse les inscrits ».

 ?? PETRO FEKETA GETTY IMAGES ?? Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, veut lancer le débat sur les moyens d’améliorer l’école.
PETRO FEKETA GETTY IMAGES Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, veut lancer le débat sur les moyens d’améliorer l’école.

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