Le Devoir

Quand Montréal devait être sauvée des eaux

L’ancienne station de pompage Craig, sous le pont Jacques-Cartier, aura une nouvelle vie. Les Montréalai­s lui doivent bien ça !

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Abandonnée depuis des décennies, point de mire de tous les passants, l’ancienne station de pompage située à proximité du pont JacquesCar­tier sera intégrée à un nouveau plan d’urbanisme, selon le cabinet de la mairesse Valérie Plante.

Impossible de manquer ce curieux bâtiment de briques rouges à l’immense cheminée située à un jet de pierre du pont Jacques-Cartier. Peu de gens connaissen­t pourtant la fonction de ce bâtiment désormais coincé entre deux voies rapides. Les travaux réalisés ces jours-ci sur cette ancienne station de pompage de la Ville annoncent sa reconversi­on prochaine au bénéfice d’un nouvel usage public qui reste à préciser.

À la Ville de Montréal, les canaux de communicat­ion officiels restent vagues, tout en indiquant qu’une réflexion est en cours pour repenser la fonction de ce bâtiment plus que centenaire, qui ne cesse de susciter la curiosité. Des travaux de réfection importants y ont débuté depuis quelques jours. «L’usage public futur de ce bâtiment est présenteme­nt à l’étude»,

se contente de dire Jules Chamberlan­d-Lajoie, porte-parole de la Ville de Montréal.

Selon la Ville, «des travaux de sécurisati­on du site de l’ancienne station de pompage Craig sont en cours afin de minimiser les risques de dégradatio­n du bâtiment. Des travaux de rénovation majeurs sont prévus d’ici la fin de l’année afin d’assurer la pérennité de ce bâtiment patrimonia­l.» La vocation future sera examinée après que «ce bâtiment patrimonia­l» aura été «sécurisé et rénové», affirme la Ville.

Au cabinet de la mairesse, Geneviève Jutras affirme que ces travaux font partie d’une nouvelle vision pour l’arrondisse­ment Ville-Marie. «C’est une nouvelle vision de l’urbanisme, qui devrait mettre l’accent sur l’accès au fleuve. L’annonce devrait être faite au printemps. »

Sur la plateforme d’Héritage Montréal, explique Dinu Bumbaru, ce bâtiment public est celui qui suscite le plus de réactions. « C’est un bâtiment à la personnali­té très insolite, avec ses armoiries de la Ville de Montréal sculptées dans la pierre, bien visibles. Je ne suis pas certain que, si on reconstrui­sait un bâtiment du genre, autant d’attention serait accordée aux détails. »

Selon Christine Gosselin, responsabl­e de la culture et du patrimoine dans l’administra­tion Plante, « il n’y a pas pour l’instant, à ma connaissan­ce, de projet d’occupation» arrêté pour ce bâtiment, qu’elle voit, comme tous les Montréalai­s, dès qu’elle se trouve près du pont JacquesCar­tier, dit-elle au Devoir.

Sauver Montréal

Située au bout de ce qui était au XIXe siècle le réseau d’égout de Montréal, cette station de pompage aide à sauver la ville des inondation­s pendant des décennies. Jusqu’au début du XXe siècle, les crues printanièr­es et des pluies fortes occasionne­nt d’importante­s inondation­s. Des secteurs entiers de Montréal sont touchés. Au dégel, les digues ne suffisent pas à protéger de vastes secteurs de la ville.

La station de pompage Craig a été construite en 1887 pour aider à résoudre ce problème. Le bâtiment est érigé d’après les dessins des architecte­s Maurice Perrault et Albert Mesnard. Ce jeune duo, très apprécié des pouvoirs religieux et civils, va réaliser de nombreux édifices au Québec, dont l’imposante église Saint-Antoine de Longueuil et Sainte-Cécile de Valleyfiel­d. Leur brillant associé, Joseph Venne, sera lui aussi prolifique. C’est leur cabinet qui réalisera le célèbre Monument-National, boulevard Saint-Laurent. La vieille station de pompage de Montréal, à qui la ville doit tout autant la pollution du fleuve que son sauvetage des inondation­s, appartient à cet univers architectu­ral proprement montréalai­s.

En 1886 par exemple, la rue McGill est noyée, tout comme Pointe-Saint-Charles et le quartier irlandais de Griffintow­n. Les citoyens sortent des chaloupes pour circuler. Plusieurs photos montrent les eaux qui règnent alors sur de vastes secteurs de la ville. La pression qui émane du système d’égout devient alors si forte qu’elle brise les grilles des trous d’homme. Même la gare Bonaventur­e est touchée et les trains ne peuvent plus circuler.

Au temps de la constructi­on de cette station de pompage, le pont Jacques-Cartier n’existe pas encore. Le bâtiment est érigé tout près de ce qui est alors la prison du Pied-du-Courant, en bordure d’un quartier populaire qui grouille de vie. «Si on recrée des connexions bâties dans ce coin, ça va changer la dynamique du bâtiment», affirme Dinu Bumbaru, en entrevue au Devoir. « C’est un secteur qui a été sauvé du désastre de justesse.» On voulait notamment faire passer l’autoroute dans la vieille prison, rappelle le défenseur du patrimoine. La constructi­on de Radio-Canada a détruit tout le quartier du Faubourg à m’lasse. «Le déménageme­nt prochain de Télé-Québec dans l’ancienne prison, occupée en ce moment par la SAQ, puis la constructi­on d’un nouvel édifice pour Radio-Canada et le déménageme­nt de Molson, tout cela constitue de belles occasions pour penser à un avenir pour ce beau bâtiment» qu’est l’ancienne station de pompage. Là, on trouve encore quatre pompes centrifuge­s conduites par autant de moteurs, immense ventre artificiel voué à digérer les eaux.

La station sera utile pendant plusieurs décennies pour contrer des crues menaçantes en partie liées à deux facteurs importants: les coupes de bois le long du fleuve, lesquelles favorisent le ruissellem­ent, et la rétention des glaces par les îles de Bouchervil­le, ce que le dragage progressif du fleuve corrigera en partie dans les années 1950.

Patrimoine oublié

La station de pompage sous le pont Jacques-Cartier permet durant de longues années de faire à peu près oublier à quel point l’île de Montréal est vulnérable aux eaux. Pourtant la première croix du mont Royal, plantée en 1643, découle d’une promesse faite au ciel par De Maisonneuv­e en 1643 devant l’inondation à laquelle fait face, en début d’année, la jeune colonie.

Les pompes à moteur de ces édifices se sont tues en 1954. À compter de la fin des années 1950, l’édifice ne sert plus, note Mario Robert du service des archives de la Ville, sinon comme entrepôt, à cause des changement­s au fleuve qu’apportent la voie maritime du SaintLaure­nt et les passages des brise-glace. «Tous les quinze ans environ, on se demande ce qu’on va en faire », résume Dinu Bumbaru.

En 2002, Le Devoir signalait déjà l’intérêt patrimonia­l de ce bâtiment, à la suite d’un rapport de l’Associatio­n québécoise pour le patrimoine industriel, qui en étudiait la grande valeur pour l’histoire de la ville. Il y avait alors des projets de reconversi­on pour en faire un centre de diffusion en art électroniq­ue. La Ville cherchait à se départir de l’édifice pour en faire un lieu de diffusion et d’interpréta­tion. « Il n’y a rien eu depuis ce projet de Champ libre», dit Dinu Bumbaru. La nouvelle administra­tion promet une annonce ce printemps.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Sous le pont, la maison à l’immense cheminée en intrigue plus d’un. En fait, il ne s’agit pas d’une ancienne habitation, mais d’une station de pompage datant de 1887.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Sous le pont, la maison à l’immense cheminée en intrigue plus d’un. En fait, il ne s’agit pas d’une ancienne habitation, mais d’une station de pompage datant de 1887.

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