Le Devoir

Qui a peur de PKP ?

- MICHEL DAVID

Le premier ministre Couillard estime que la perspectiv­e du retour en politique de Pierre Karl Péladeau, qui en brûle d’envie, crée une «situation inconforta­ble» pour les journalist­es de Québecor, mais lui-même en serait certaineme­nt ravi.

Le départ-surprise de l’ancien chef péquiste, en mai 2016, avait permis de balayer sous le tapis, sans le régler pour autant, le problème posé par le contrôle qu’il exerce sur le plus important empire médiatique au Québec. Les amendement­s au code d’éthique de l’Assemblée nationale proposés par l’ancien commissair­e à l’éthique, Jacques Saint-Laurent, n’ont jamais été adoptés et ils ne le seront pas dans un avenir prévisible.

Son retour relancerai­t inévitable­ment le débat, mais M. Couillard avait indiqué dès le départ qu’il ne croyait pas à une solution juridique. Elle devait plutôt être de nature politique. Autrement dit, il appartiend­rait à la population de trancher à l’occasion d’une élection.

Quant aux journalist­es de Québecor, ils sont déjà dans une position inconforta­ble. M. Péladeau a actuelleme­nt les deux mains sur le volant, alors qu’il se dit lui-même «en réserve de la République » et ne manque aucune occasion d’afficher sa foi souveraini­ste. S’il replonge officielle­ment, il devra au moins confier les rênes à quelqu’un d’autre.

En réalité, M. Couillard serait ravi de le voir reprendre du service. Pour que les libéraux aient une chance de conserver le pouvoir, la CAQ doit absolument perdre une partie de ses appuis chez les francophon­es. Les électeurs libéraux qui passent au PQ sont rarissimes. Ceux que M. Péladeau pourrait attirer viendront pour l’essentiel de la CAQ.

L’épouvantai­l séparatist­e manque terribleme­nt aux libéraux. Dans l’immédiat, le retour de M. Péladeau ne changerait rien à l’échéancier du PQ, mais cela justifiera­it que M. Couillard reparle de souveraine­té au cours de la prochaine campagne, alors que cela apparaîtra­it autrement comme une diversion visant à occulter son bilan.

La principale victime d’une repolarisa­tion du débat autour de la question nationale serait évidemment la CAQ. De l’aveu même de François Legault, son parti avait été marginalis­é par l’entrée en scène de M. Péladeau en 2014.

Si l’enjeu de l’élection est simplement de se débarrasse­r des libéraux, le «nouveau projet nationalis­te» de la CAQ peut toujours suffire à donner bonne conscience aux souveraini­stes qui ne croient pas aux chances du PQ. Inversemen­t, l’engagement de M. Legault à ne pas remettre le lien fédératif en question permet aux fédéralist­es qui en ont assez du PLQ de voter pour la CAQ sans avoir le sentiment d’affaiblir l’unité canadienne.

Le retour de PKP, ajouté à celui de Jean-Martin Aussant, ne permettrai­t plus de présenter l’élection du 1er octobre simplement comme le choix d’un bon gouverneme­nt. Dès lors, les uns et les autres seraient tentés de retourner à leur famille naturelle.

L’épouvantai­l séparatist­e manque terribleme­nt aux libéraux

Personne ne pense que M. Péladeau reviendrai­t au PQ pour se contenter d’un rôle de lieutenant. Il appartiend­ra à terme aux militants péquistes de décider s’il a les qualités requises pour redevenir chef.

Jean-François Lisée est évidemment conscient qu’il ne pourra pas compter sur son appui au lendemain de l’élection, si le PQ se retrouve à nouveau dans l’opposition, à plus forte raison s’il finit en troisième place. Même s’il le voulait, il n’aurait cependant aucun moyen d’empêcher son retour. Il n’y a d’ailleurs aucun danger immédiat. Tous les prétendant­s à sa succession savent qu’ils ne peuvent pas se permettre la moindre déloyauté d’ici le 1er octobre sans ruiner leurs propres chances.

Il faut reconnaîtr­e à M. Lisée d’avoir eu la lucidité de reconnaîtr­e et l’humilité d’accepter que la situation nécessitai­t des mesures exceptionn­elles, même si elles pouvaient être mortifiant­es. Tant qu’à former un trio avec Jean-Martin Aussant et Véronique Hivon, pourquoi pas un quatuor avec Pierre Karl Péladeau?

Ceux qui voient encore dans le «roi du lockout» un suppôt du capitalism­e sauvage pourront toujours migrer vers Québec solidaire, les départs risquent d’être moins nombreux que les arrivées en provenance de la CAQ.

Le PQ ne rétablira jamais l’hégémonie qu’il exerçait jadis sur le mouvement souveraini­ste. M. Péladeau a d’ailleurs été le premier chef à le reconnaîtr­e. L’introducti­on d’un mode de scrutin proportion­nel facilitera­it les alliances dans le respect des différence­s, en évitant les déchiremen­ts, comme ceux dont le congrès de QS de mai dernier a offert le triste spectacle, mais il faut jouer selon les règles en vigueur.

Il serait illusoire d’espérer recréer la coalition arc-en-ciel dont parlait jadis René Lévesque, mais le PQ n’a pas les moyens de faire la fine bouche. Malgré ses défauts, M. Péladeau y a certaineme­nt sa place.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada