Le Devoir

Le tout-à-l’hôpital

- JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Tout le monde se réjouit de la décision du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, de lancer des projets pilotes pour déterminer le nombre optimal de patients par infirmière en milieu hospitalie­r. Ce qui ne doit pas faire oublier que notre système de santé continue de concentrer la plus grande part des ressources aux hôpitaux au détriment de la première ligne et des soins à domicile.

Au Canada, 36% des dépenses publiques en santé vont aux hôpitaux et 20% aux médecins. À elles seules, les personnes de plus de 65 ans nécessiten­t 46% des dépenses du réseau, mais une très faible proportion est fournie à domicile, tous services confondus. En fait, pas même la moitié des récentes augmentati­ons de rémunérati­on accordées aux médecins. En septembre dernier, la protectric­e du citoyen, Mme Marie Rinfret, constatait que seulement 8,6 % des personnes âgées de plus de 65 ans avaient accès à une forme ou une autre de soutien à domicile, médical ou non, soit à peine la moitié de celles qui en ont besoin.

Dès son arrivée au pouvoir, en 2014, le gouverneme­nt Couillard a réduit les sommes consacrées à ce poste budgétaire, malgré sa promesse d’ajouter 750 millions de dollars en cinq ans. Même en intégrant les 69 millions annoncés le printemps dernier, on se retrouve aujourd’hui tout juste avec les sommes dépensées par citoyen de 65 ans en début de mandat, en termes réels.

On se rappellera qu’avec la réforme des soins ambulatoir­es menée il y a vingt ans par le ministre Jean Rochon, on a fermé des milliers de lits et accru les interventi­ons d’un jour, mais les économies ainsi réalisées ont surtout servi à ralentir la croissance des dépenses en santé, sans améliorer le soutien à domicile comme promis.

Quinze ans plus tard, un autre ministre péquiste, Réjean Hébert, a proposé la création d’une «assurance autonomie» qui aurait accru sensibleme­nt les ressources consacrées à l’autonomie des personnes âgées. Le PQ ayant été battu aux élections suivantes, le projet est tombé à l’eau.

Les libéraux ayant promis d’investir dans l’accès à un médecin de famille et aux soins à domicile, on s’attendait à une solution de rechange équivalent­e, mais non.

Après la vague de compressio­ns destinées à retrouver l’équilibre budgétaire, tout l’argent promis est allé aux médecins, sans qu’on observe quelque améliorati­on que ce soit dans l’accès aux soins, encore moins ceux à domicile.

Dans les CLSC par exemple, à l’exception de quelques projets particulie­rs qui mériteraie­nt qu’on en parle à titre d’exemple à suivre, on nous rapporte qu’à cause des nouvelles exigences en matière de performanc­e, à peu près plus aucun médecin n’accepte de se rendre à domicile dans les cas de maladies chroniques ou dégénérati­ves. Seuls les soins palliatifs justifient toujours une telle visite du Bon Dieu.

Et ne parlons pas des médecins qui pratiquent en groupes de médecine familiale (GMF) ou en cabinet: la répartitio­n des enveloppes de rémunérati­on entre médecins étant laissée aux bons soins de leur syndicat, ce dernier juge qu’il en coûterait trop cher aux autres médecins de reconnaîtr­e à sa juste valeur l’importance des visites à domicile, pourtant si communes à la plupart des pays civilisés.

Autre effet pervers de la réforme Barrette: on a transféré un grand nombre de travailleu­ses sociales des CLSC vers les GMF privés. Ce faisant, des milliers de personnes en détresse sont désormais laissées à elles-mêmes parce qu’elles ne sont pas inscrites auprès d’un médecin du GMF, condition essentiell­e pour avoir accès à ces profession­nelles.

Tout cela nous amène à conclure que la très forte centralisa­tion des décisions au sein des institutio­ns fusionnées depuis la réforme Barrette a entraîné une standardis­ation des pratiques, dont l’objectif aurait pu se défendre, mais qui se résume pour l’instant à gonfler le nombre de personnes inscrites sur les listes sans améliorati­on des services, comme pour les médecins de famille.

Comme le constatait la protectric­e du citoyen dans son dernier rapport, le temps moyen consacré à chaque personne visitée par le personnel des CLSC a diminué et certains services jugés arbitraire­ment moins essentiels ont été éliminés.

Nous sommes aujourd’hui à un mois de la prochaine année budgétaire. Dans plusieurs centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), la priorité va à faire remplir le plus grand nombre de plans d’interventi­on possible par le personnel profession­nel tout en maintenant ouverts le plus de dossiers possible, même s’ils sont inactifs, pour atteindre les cibles et justifier les budgets de la prochaine année. Bureaucrat­ique, dites-vous ?

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