Le Devoir

Il y a 180 ans, un Québec laïque et républicai­n

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Aux heures les plus sombres de la rébellion patriote, il y a 180 ans, le président autoprocla­mé de la République du BasCanada, Robert Nelson, déclare l’indépendan­ce lors d’une incursion en territoire canadien, au nord d’Alburg Springs, au Vermont, le 28 février 1838. Symptomati­quement, on ne connaît plus l’emplacemen­t exact où s’est déroulé l’événement, sans doute au lieudit de Nutt’s Corner, au sud de Venise-en-Québec…

Laconique, solennelle et foncièreme­nt radicale, la déclaratio­n proclame d’entrée de jeu «Qu’à compter de ce jour, le Peuple du Bas-Canada est absous de toute allégeance à la Grande-Bretagne, que toute connexion politique entre cette puissance et le Bas-Canada cesse dès ce jour [et que le Bas-Canada] se déclare maintenant, de fait, république ».

Au fil des dix-huit articles, on voit vite que l’objectif est d’abord de rallier tous ceux qui sont susceptibl­es d’appuyer la cause patriote, à commencer par les Américains dont on reprend à dessein la rhétorique de la déclaratio­n d’indépendan­ce de 1776. On propose même de radier les dettes de ceux qui prendront les armes pour libérer le Québec du joug britanniqu­e! Les articles s’en prennent surtout à de vieux griefs tels que la tenure seigneuria­le, l’emprisonne­ment pour dettes ou le monopole de la British American Land Company dont souffre particuliè­rement une paysanneri­e insurgée, mais peu sensible aux revendicat­ions purement constituti­onnelles mises en avant par Louis-Joseph Papineau. On cherche enfin l’appui tacite des anglophone­s, accordant au passage un statut égal au français et à l’an- glais, de même que celui des autochtone­s, dont on compte faire des citoyens à part entière et dont Nelson pressent qu’ils devront jouer un rôle-clé dans l’instaurati­on du nouveau régime.

N’empêche, avec le recul la Déclaratio­n d’indépendan­ce du Bas-Canada posait des principes fondamenta­ux et lançait des réformes fort audacieuse­s, dont plusieurs n’allaient finalement voir le jour que beaucoup plus tard, comme l’abolition de la tenure seigneuria­le (1854), le vote secret (1874), l’éducation obligatoir­e (1943), la séparation de l’Église et de l’État (1960), le suffrage universel (1968) ou l’abolition de la peine de mort (1976). D’autres demandes patriotes n’ont même pas encore été obtenues, comme l’égalité juridique des autochtone­s et bien sûr l’abolition de la monarchie.

La fameuse déclaratio­n du 28 février 1838 n’aura guère d’influence sur le cours des événements: les patriotes reprennent les armes à l’automne suivant et sont battus aux batailles de Lacolle et d’Odelltown. Elle témoigne néanmoins jusqu’à nos jours de l’étonnante modernité du discours patriote, aux sources mêmes du souveraini­sme québécois: laïque, pluriethni­que et républicai­n.

Gilles Laporte, historien Le 25 février 2018

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