Entre liberté de religion et droits sociétaux
L’État de Californie doit-il forcer une pâtissière à faire un gâteau? Le gouvernement fédéral peut-il empêcher une association religieuse d’employer un étudiant pour tondre la pelouse l’été? Ces questions peuvent sembler amusantes, mais elles illustrent pourtant le conflit qui existe aujourd’hui entre la liberté religieuse et d’autres droits fondamentaux.
En août 2017, un couple de deux jeunes femmes commandent un gâteau dans une pâtisserie en Californie en prévision de leur mariage. Quelques jours plus tard, la propriétaire les informe qu’elle ne peut accéder à leur demande. Elle explique qu’en tant que chrétienne pratiquante elle ne peut approuver un mariage homosexuel. L’État de Californie engage des poursuites au nom des jeunes mariées afin d’obliger la pâtissière à honorer sa commande. Le tribunal tranche : un pâtissier ne peut refuser de vendre un gâteau qui a déjà été cuisiné, mais n’est pas tenu de fabriquer un gâteau pour une raison qui irait contre sa religion. Pour le juge David Lampe, « ce serait faire violence à l’essence de la liberté d’expression garantie dans le premier amendement de la Constitution ».
Ce jugement fait écho à une autre affaire toujours en cours qui oppose un couple homosexuel à un pâtissier du Colorado, toujours pour un gâteau de mariage. Cette fois, c’est la Cour suprême qui est invitée à se prononcer sur l’affaire. La décision permettra de démêler une épineuse question: que faire lorsque les libertés se contredisent? Laisser la liberté à un pâtissier de refuser de servir un client si cela contrevient à ses convictions permet de respecter sa liberté religieuse, mais est-ce acceptable si cela va à l’encontre de la liberté sexuelle et de la non-discrimination ?
Le «vivre ensemble»
La même question se pose également au Canada. Récemment, une nouvelle case sur les formulaires de subventions pour le programme Emploi Été Canada demande aux associations de certifier que leur mandat principal respecte les valeurs de la Charte incluant «les droits des femmes» et les «droits en matière de procréation». Les associations religieuses y ont vu une discrimination puisque leur foi les empêche de soutenir l’avortement.
Une contradiction évidente apparaît : le gouvernement ne souhaite pas financer d’emplois qui seraient contraires aux valeurs de la Charte tandis que les associations religieuses voient dans cette mesure une atteinte à la liberté religieuse garantie dans cette même Charte. Une question délicate puisque justement la Charte indique qu’aucun droit n’est plus important qu’un autre. La suite de cette affaire se réglera certainement dans un tribunal.
Il semble essentiel que des pays comme le Canada ou les États-Unis garantissent à leurs citoyens des droits et des libertés fondamentales. La liberté de religion en est une, mais le mariage pour les personnes de même sexe ainsi que l’avortement en sont d’autres.
Le difficile exercice qui revient aux juges est de trouver le point d’équilibre entre les libertés dont chaque individu peut jouir et les droits sociétaux qui permettent de construire une nation qui s’appuie sur certaines valeurs qu’elle juge fondamentales. Peut-on porter atteinte aux libertés fondamentales?
Certaines lois portent déjà atteinte à la liberté de religion, mais sont jugées acceptables. En 2011, la Cour suprême de Colombie-Britannique avait dû se prononcer sur la légalité de la loi interdisant la polygamie. Le verdict considérait que cette loi portait atteinte à la liberté de religion, mais que le préjudice subi par les femmes et les enfants issus de ces unions étaient supérieurs et justifiait le maintien de la loi.
Chacun devrait être libre de défendre ses convictions. Mais que faire lorsque celles-ci ont pour conséquences de nier ou de restreindre les droits ou les libertés d’autres membres de la société ? Est-ce nos sociétés qui sont inadaptées au respect de la foi de chacun, ou est-ce les religions qui n’arrivent pas à s’intégrer dans nos sociétés ?
Plusieurs pays européens ont en partie tranché la question en adoptant des mesures plus strictes restreignant la liberté religieuse au nom du «vivre ensemble». La religion a été reléguée dans la sphère privée, tandis qu’elle cherche encore sa place dans les sociétés d’Amérique du Nord. Il n’y a pas de réponse facile, mais, quelles que soient les convictions de chacun, un compromis devra être trouvé, et ce ne sera certainement pas du gâteau.