Mettre fin à la gloutonnerie des médecins
Il n’y a rien pour les en faire changer d’idée, la prochaine élection provinciale sera provinciale. Tous les partis politiques s’entendent, les Québécois et Québécoises seront appelés à réfléchir dans l’espace de la résignation. Les programmes, quelles qu’en soient les rhétoriques, sont unanimes: nous n’aurons d’autres choix que de réfléchir dans un cadre inadéquat. Le gouvernement du Québec n’a plus les moyens — même en supposant qu’il en ait la volonté — de se comporter comme notre gouvernement national. Et l’électorat sera appelé à ne pas trop y penser.
Il est donc inutile de faire semblant de ne pas voir ce que le rapetissement des perspectives a imposé à la conduite des affaires publiques et à la gestion de notre demi-État en déliquescence. Les finances du Québec ont été prises en otage par le corporatisme médical. La politique provinciale est tout entière conditionnée par la confiscation des ressources publiques menée par des organisations bénéficiant de la complicité et de la connivence d’un tandem de docteurs et qui sont parvenues, d’un commun dessein, à se goinfrer dans l’assiette au beurre. Et à le faire sur le dos des infirmières et du personnel auxiliaire, au détriment de la qualité et de la pérennité des services publics, au mépris de la qualité des soins et de la prise en charge décente des défis de société que nous pose le vieillissement de la population. Les coûts du système sont devenus intolérables. Près de la moitié du budget de la province y passe, les autres missions sont condamnées à l’indigence et le dossier de la santé reste toujours aussi lancinant.
La question du mode de rémunération des médecins joue un rôle déterminant dans le contrôle des coûts, dans l’architecture institutionnelle et dans l’organisation des services. Elle induit nombre de dysfonctions organisationnelles, qui ne sont tolérées que parce que le courage manque de prendre l’engeance corporatiste de front. Plusieurs des modifications les plus structurantes pour l’organisation des services de santé sont littéralement impossibles à envisager parce que la médecine à l’acte est intouchable. Parce que les corporations qui l’imposent n’hésitent guère à brandir le chantage et l’intimidation. Le chaos ? Le socialisme ? L’exode? Les insinuations font la besogne. La censure règne. Il faudrait dessiner le système autour d’un fétiche intouchable : le statut de médecin entrepreneur et son droit de préséance pour les choix d’utilisation des ressources.
Il est temps de lever l’obstacle
Pourquoi les contribuables devraient-ils encore une fois se laisser faire le coup de la promesse de l’efficacité retrouvée? Pourquoi faudrait-il faire semblant de croire que l’idéal social se résume à combattre les patates en poudre et le lavage à la débarbouillette? Même la résignation provinciale doit avoir sa limite.
Pourquoi une élection provinciale devrait-elle être synonyme d’hypocrisie collective? On ne met fin à la gloutonnerie qu’en retirant les auges. La province l’a déjà fait, il y a plus de cinquante ans en tenant une élection pour casser l’effronterie des compagnies d’hydroélectricité. Pourquoi ne pas tenir une élection pour en finir avec la gabegie corporatiste et soumettre au peuple la question qu’il se pose dans ses cuisines: pourquoi ne pas imposer le salariat aux médecins, pourquoi tolérer un mode de rémunération qui consacre des privilèges et qui est en train de saccager la santé publique ?
C’est indigne et il faut mettre fin à la conduite des gloutons. Même les médecins — du moins une large fraction de la confrérie — en sont gênés. La culture du privilège est devenue obscène. Le chantage corporatiste est ignoble et il ne suffit plus de le dénoncer : il faut le casser en lui opposant la légitimité démocratique.
Ce n’est pas de promesses de rafistolage d’un système construit sur le privilège que le peuple a besoin. C’est d’une réforme qui pourra prendre appui sur un large consensus populaire pour enfin neutraliser les maîtres chanteurs et organiser les soins en fonction des objectifs de société et non pas des plans de carrières et des intérêts cupides. Il faut un système de rémunération contrôlable, un mode de répartition des effectifs qui envoient les praticiens là où se trouvent les besoins et non pas là où les perspectives de gain sont alléchantes. Il faut faire cesser la médecine de brousse dans les régions. Il faut cesser de larguer les plus vulnérables, ceux-là qui n’ont pas de lobby et qui ne peuvent brandir les menaces d’exode aux États-Unis ou en Ontario. Il est temps d’exiger du courage des aspirants à la gouverne et d’en finir avec les simulacres de la bonne gestion provinciale.
Il faut faire de cette question taboue le thème central de la campagne. Il faut cesser de se faire complice des faiseux de promesses qui font semblant de ne pas voir, de ne pas se prosterner devant l’éléphant qui trône au milieu de la salle du Conseil des ministres.
Ce serait là au moins l’occasion de raccorder le vote avec la dignité.