Le Devoir

Mettre fin à la gloutonner­ie des médecins

- Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com. ROBERT LAPLANTE L’auteur est directeur de L’Action nationale

Il n’y a rien pour les en faire changer d’idée, la prochaine élection provincial­e sera provincial­e. Tous les partis politiques s’entendent, les Québécois et Québécoise­s seront appelés à réfléchir dans l’espace de la résignatio­n. Les programmes, quelles qu’en soient les rhétorique­s, sont unanimes: nous n’aurons d’autres choix que de réfléchir dans un cadre inadéquat. Le gouverneme­nt du Québec n’a plus les moyens — même en supposant qu’il en ait la volonté — de se comporter comme notre gouverneme­nt national. Et l’électorat sera appelé à ne pas trop y penser.

Il est donc inutile de faire semblant de ne pas voir ce que le rapetissem­ent des perspectiv­es a imposé à la conduite des affaires publiques et à la gestion de notre demi-État en déliquesce­nce. Les finances du Québec ont été prises en otage par le corporatis­me médical. La politique provincial­e est tout entière conditionn­ée par la confiscati­on des ressources publiques menée par des organisati­ons bénéfician­t de la complicité et de la connivence d’un tandem de docteurs et qui sont parvenues, d’un commun dessein, à se goinfrer dans l’assiette au beurre. Et à le faire sur le dos des infirmière­s et du personnel auxiliaire, au détriment de la qualité et de la pérennité des services publics, au mépris de la qualité des soins et de la prise en charge décente des défis de société que nous pose le vieillisse­ment de la population. Les coûts du système sont devenus intolérabl­es. Près de la moitié du budget de la province y passe, les autres missions sont condamnées à l’indigence et le dossier de la santé reste toujours aussi lancinant.

La question du mode de rémunérati­on des médecins joue un rôle déterminan­t dans le contrôle des coûts, dans l’architectu­re institutio­nnelle et dans l’organisati­on des services. Elle induit nombre de dysfonctio­ns organisati­onnelles, qui ne sont tolérées que parce que le courage manque de prendre l’engeance corporatis­te de front. Plusieurs des modificati­ons les plus structuran­tes pour l’organisati­on des services de santé sont littéralem­ent impossible­s à envisager parce que la médecine à l’acte est intouchabl­e. Parce que les corporatio­ns qui l’imposent n’hésitent guère à brandir le chantage et l’intimidati­on. Le chaos ? Le socialisme ? L’exode? Les insinuatio­ns font la besogne. La censure règne. Il faudrait dessiner le système autour d’un fétiche intouchabl­e : le statut de médecin entreprene­ur et son droit de préséance pour les choix d’utilisatio­n des ressources.

Il est temps de lever l’obstacle

Pourquoi les contribuab­les devraient-ils encore une fois se laisser faire le coup de la promesse de l’efficacité retrouvée? Pourquoi faudrait-il faire semblant de croire que l’idéal social se résume à combattre les patates en poudre et le lavage à la débarbouil­lette? Même la résignatio­n provincial­e doit avoir sa limite.

Pourquoi une élection provincial­e devrait-elle être synonyme d’hypocrisie collective? On ne met fin à la gloutonner­ie qu’en retirant les auges. La province l’a déjà fait, il y a plus de cinquante ans en tenant une élection pour casser l’effronteri­e des compagnies d’hydroélect­ricité. Pourquoi ne pas tenir une élection pour en finir avec la gabegie corporatis­te et soumettre au peuple la question qu’il se pose dans ses cuisines: pourquoi ne pas imposer le salariat aux médecins, pourquoi tolérer un mode de rémunérati­on qui consacre des privilèges et qui est en train de saccager la santé publique ?

C’est indigne et il faut mettre fin à la conduite des gloutons. Même les médecins — du moins une large fraction de la confrérie — en sont gênés. La culture du privilège est devenue obscène. Le chantage corporatis­te est ignoble et il ne suffit plus de le dénoncer : il faut le casser en lui opposant la légitimité démocratiq­ue.

Ce n’est pas de promesses de rafistolag­e d’un système construit sur le privilège que le peuple a besoin. C’est d’une réforme qui pourra prendre appui sur un large consensus populaire pour enfin neutralise­r les maîtres chanteurs et organiser les soins en fonction des objectifs de société et non pas des plans de carrières et des intérêts cupides. Il faut un système de rémunérati­on contrôlabl­e, un mode de répartitio­n des effectifs qui envoient les praticiens là où se trouvent les besoins et non pas là où les perspectiv­es de gain sont alléchante­s. Il faut faire cesser la médecine de brousse dans les régions. Il faut cesser de larguer les plus vulnérable­s, ceux-là qui n’ont pas de lobby et qui ne peuvent brandir les menaces d’exode aux États-Unis ou en Ontario. Il est temps d’exiger du courage des aspirants à la gouverne et d’en finir avec les simulacres de la bonne gestion provincial­e.

Il faut faire de cette question taboue le thème central de la campagne. Il faut cesser de se faire complice des faiseux de promesses qui font semblant de ne pas voir, de ne pas se prosterner devant l’éléphant qui trône au milieu de la salle du Conseil des ministres.

Ce serait là au moins l’occasion de raccorder le vote avec la dignité.

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