Le Devoir

Nouvelle offensive antisyndic­ale aux États-Unis

- SÉBASTIEN BLANC à Washington

Simple fonctionna­ire travaillan­t pour l’État américain de l’Illinois, Mark Janus pourrait bientôt avoir son nom associé à l’un des plus retentissa­nts revers pour le monde syndical aux États-Unis depuis des décennies.

Cet employé du service de protection de la jeunesse de la Ville de Springfiel­d est au coeur d’une longue bataille judiciaire, qu’a examinée lundi la Cour suprême, sur les cotisation­s obligatoir­es dans le secteur public. «Je dois payer une cotisation syndicale alors que je ne suis pas membre du syndicat », a-t-il résumé au site libertarie­n Reason.

L’explicatio­n de cette apparente anomalie est la suivante: il y a plus de 40 ans, la Cour suprême a jugé qu’il était légitime d’exiger d’un salarié américain qu’il cotise une somme raisonnabl­e, à partir du moment où le syndicat était chargé de négocier les convention­s collective­s dans l’intérêt général du personnel. Mais M. Janus considère que cela viole sa liberté d’expression protégée par le premier amendement de la Constituti­on.

L’action judiciaire qu’il a lancée bénéficie du soutien officiel du gouverneme­nt de Donald Trump, de multiples organisati­ons conservatr­ices ainsi que de 19 États. En face, le syndicat American Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME) est soutenu par 20 États, dont l’Illinois et la capitale fédérale Washington.

Conséquenc­es nationales?

Comme souvent à la haute cour, l’affaire dépasse donc largement le cas du plaignant. « Tout le monde me dit que cela a des conséquenc­es nationales, mais moi je me positionne comme une personne lambda qui défend ses droits et libertés», a affirmé le père de famille à l’Illinois Policy Institute, une organisati­on qui veut réduire les dépenses publiques.

Si les cotisation­s syndicales obligatoir­es étaient jugées anticonsti­tutionnell­es, les syndicats américains perdraient des milliers d’adhérents et seraient coupés du nerf de leur action : l’argent. Consciente­s de l’enjeu, des dizaines de personnes ont manifesté lundi devant le bâtiment de la Cour suprême, sur la colline du Capitole à Washington.

L’AFSCME dénonce un «effort flagrant pour réduire au silence les voix des salariés» fondé sur «l’idéologie hostile des milliardai­res et des intérêts des entreprise­s».

Cette affaire s’inscrit dans plusieurs décennies d’une offensive antisyndic­ale qui veut rogner l’influence des centrales de défense des salariés. La question est d’ailleurs récemment venue devant la Cour suprême, qui à l’époque fonctionna­it avec un neuvième siège vacant et était donc composée de quatre magistrats progressis­tes et de quatre conser vateurs.

La décision rendue le 29 mars 2016, à propos d’un syndicat d’enseignant­s, s’était conclue sur une égalité quatre contre quatre, sans faire jurisprude­nce. Les syndicats avaient poussé un soupir de soulagemen­t.

«Je dois payer une cotisation syndicale alors que je ne suis membre» pas du syndicat Mark Janus, fonctionna­ire pour l’État de l’Illinois

Mais leur répit n’était que temporaire.

En effet, le président Trump a depuis nommé un juge très conservate­ur à la Cour suprême, Neil Gorsuch. Le camp antisyndic­al espère qu’il apporte une cinquième voix décisive, celle de la victoire tant attendue par la droite américaine.

Lors de l’audience lundi, le juge Gorsuch est resté étonnammen­t silencieux. Mais deux de ses collègues conservate­urs, Samuel Alito et Anthony Kennedy, ont clairement signifié leur opposition au système actuel. Les magistrats progressis­tes ont, eux, mis en garde contre un coup de pied dans la fourmilièr­e aux conséquenc­es sociales incalculab­les.

Le taux de syndicalis­ation aux États-Unis est en déclin depuis les années 1950, mais cette érosion touche moins le secteur public, d’où l’enjeu de l’affaire Janus. Tandis que, dans le secteur privé, les syndicats ne représente­nt plus que 6,5 % des salariés.

Porter un nouveau coup à cette représenta­tion rendrait les syndicats « plus militants et agressifs», a averti lundi David Franklin, l’avocat de l’État de l’Illinois. Si vous revenez sur le système en place, a de son côté prévenu David Frederick, l’avocat du syndicat AFSCME, «vous réveillez le spectre imprévisib­le de troubles sociaux à travers tout le pays ».

La Cour suprême rendra sa décision dans ce dossier d’ici fin juin.

 ?? ALEX WONG GETTY IMAGES/AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Des manifestan­ts devant la Cour suprême des États-Unis à Washington, lundi. La cour doit entendre une cause contre les cotisation­s obligatoir­es dans le secteur public.
ALEX WONG GETTY IMAGES/AGENCE FRANCE-PRESSE Des manifestan­ts devant la Cour suprême des États-Unis à Washington, lundi. La cour doit entendre une cause contre les cotisation­s obligatoir­es dans le secteur public.

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