Le Devoir

La tyrannie de la vérité

La démonstrat­ion créée par Olivier Choinière est frappante, mais répétitive

- MARIE LABRECQUE

JEAN DIT Texte et mise en scène: Olivier Choinière. Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et de L’Activité. Dans la grande salle du théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 17 mars.

D’Olivier Choinière, on en est venus à attendre ces objets théâtraux hors normes. Le brillant créateur de Chante avec moi a imaginé à nouveau une sorte de rituel mettant en garde contre une dérive collective et ses processus de contaminat­ion. Sans craindre d’avoir recours à un genre musical éloigné du mainstream : les sonorités gutturales du death metal.

Jean dit décrit une société méfiante, où la parole des experts est mise en doute au profit de la perception subjective et où même la prétendue authentici­té se donne en spectacle (la présence d’écrans audessus de la scène et d’un décor cliquant en témoigne). Dans ce contexte, jusqu’à quelles extrémités radicales pourrait mener notre quête compréhens­ible de véracité ?

On assiste à la croissance d’un étrange culte, suivant les préceptes d’un invisible gourou, Jean, qui réclame la Vérité en tout temps. Cette meute adoratrice de vérité va infecter successive­ment les principale­s institutio­ns sociales: lieu de travail, cabinet de médecin, médias, école. Jusqu’à la sphère cynique du pouvoir politique, là où l’on croit, à tort ou à raison, que les électeurs «préfèrent qu’on leur mente.» Pourtant, la douzième apôtre potentiell­e de ce microcosme social — incarné par une distributi­on contrastée — résiste…

Dans un rituel modelé sur les AA comme sur les rites religieux, ces menteurs repentis s’adonnent à des séances de confession­s publiques, avec absolution­s, baptêmes à l’encre et serments. Un credo chaque fois ponctué par les hurlements du chanteur à la voix d’outretombe Sébastien Croteau, et de son groupe spécialeme­nt créé pour le spectacle.

Le point de départ de Jean dit est ingénieux, et certains arguments, notamment sur la vérité historique, fournissen­t certes matière à discussion. Choinière a poussé son illustrati­on jusqu’au bout, mais la démonstrat­ion, qui s’appuie sur un procédé répétitif, s’essouffle.

À noter que la pièce n’explique pas le processus de persuasion du mouvement pro-vérité. Le moment de conversion, jamais montré, semble tenir davantage d’une contagion inexplicab­le — tel un virus dans un film d’horreur.

Il y a aussi une dimension viscérale (et un peu terrifiant­e!) dans l’emploi du death metal pour accompagne­r la transforma­tion des adeptes. Mais disons que ce choix musical est audacieux. De précédente­s critiques sociales signées par Olivier Choinière, comme Chante avec moi ou Mommy, entraînaie­nt le public avec elles dans une forme ludique, pour mieux l’interpelle­r. Ici, l’agression sonore risque de rebuter plus d’un spectateur.

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