Le Devoir

Des compressio­ns pour des secteurs clés de la santé

- CLÉMENT MERCIER NICOLE DALLAIRE Professeur­s retraités de l’Université de Sherbrooke MARTIN ROBERT LILIANE MERCIER Ex-cadres du réseau de la santé et services sociaux JANVIER CLICHE Ex-préposé aux bénéficiai­res, ex-président de la CSN Estrie et ex-direct

Il faut craindre que les dénonciati­ons actuelles des conditions de pratique des infirmière­s en milieu hospitalie­r de courte et longue durée cachent le problème de fond qui les a produites. Il est certes souhaitabl­e et possible d’alléger et de mieux gérer l’ensemble des tâches des infirmière­s et autres intervenan­tes en soins cliniques, ce sur quoi le gouverneme­nt Couillard semble enfin s’être éveillé. Mais si le quasi-gel des budgets en santé se maintient en 2018-2019 (à 4% d’augmentati­on, ce serait tout comme), les compressio­ns générales de personnel vont se maintenir, et même devoir s’accentuer.

Il y a alors lieu de s’attendre à ce que toute augmentati­on significat­ive en soins infirmiers se fasse au détriment des autres secteurs clés de la santé, notamment les services sociaux, les soins à domicile, la prévention et le soutien aux communauté­s locales, eux aussi fortement affectés par les compressio­ns. Rappelons que la contributi­on effective de ces secteurs, en amont des services hospitalie­rs, est considérée comme tout aussi importante pour l’atteinte d’objectifs de santé dépassant la logique de l’accès aux médecins, comptant notamment pour beaucoup dans la réduction du recours à l’hospitalis­ation et aux soins médicaux.

Par-delà (et à travers) la gestion des soins hospitalie­rs et les questions budgétaire­s, c’est aussi le nouveau cadre organisati­onnel du réseau socio-sanitaire décrété par le gouverneme­nt Couillard qui est en cause. Ce cadre organisati­onnel très problémati­que n’est d’ailleurs pas remis en question par la CAQ. Si on ne procède pas à une évaluation rigoureuse des effets de la contre-réforme en implantati­on depuis trois ans, on risque de se retrouver au même point avant longtemps.

Diminution des ressources

Ce gouverneme­nt a imposé l’intégratio­n et la régionalis­ation de tous les services publics de santé et services sociaux sous une seule et énorme entité administra­tive par région (les CIUSSS-CISSS), tout en diminuant de façon draconienn­e les ressources d’interventi­on et d’encadremen­t. Il a ainsi mis en branle un énorme et complexe chantier de changement organisati­onnel dont les conditions de succès sont pour le moins très incertaine­s. Ces mégaorgani­sations ont dû se constituer dans l’urgence, sans aucune consultati­on et aucune écoute des parties prenantes et experts du domaine, à travers des cibles budgétaire­s toujours déterminée­s par «l’optimisati­on» des coûts, pour des soins dominés par le curatif et par la logique hospitaliè­re qui engrangent l’essentiel des ressources.

De telles conditions d’implantati­on obligent à des choix contradict­oires qui ne permettant pas le respect des missions habituelle­s de services sociaux et de santé conforméme­nt à la loi encore en vigueur. On doit, d’une part, satisfaire les exigences d’une organisati­on censée livrer des «services humains» et polyvalent­s devant faire appel à un équilibre entre la prévention et le curatif, à l’interdisci­plinarité véritable, à un sain équilibre entre le social et la santé et censée miser sur des services proches des communauté­s, et, d’autre part, réduire au maximum les coûts et «surcentral­iser» les services autour des soins médicaux généraux et spécialisé­s.

Devant cette situation, on peut alors raisonnabl­ement penser que, comme prochaine étape, le gouverneme­nt Couillard ou son éventuel successeur caquiste pourra justifier et accroître davantage la privatisat­ion des services de 1re ligne et des urgences mineures. C’est ce qu’il semble vouloir réaliser à travers le recours aux GMF et aux superclini­ques, organisati­ons privées par lesquelles il prétend décongesti­onner les urgences et les CLSC, tout en les dépouillan­t des ressources profession­nelles nécessaire­s à l’exercice de leurs fonctions essentiell­es.

Cette stratégie qui ne mise que sur le volet curatif médical entraînera une demande accrue pour ce système de soins générateur de coûts toujours grandissan­ts, tel un puits sans fond. On pourra alors davantage privilégie­r le «modèle d’affaires» reposant sur des «profession­nels privés » rémunérés par les fonds publics selon le nombre d’actes facturés, sans égard à leur qualité.

Et l’histoire continuera de se répéter: nos entreprene­urs médicaux et leurs puissants regroupeme­nts profession­nels seront les seuls à déterminer et à contrôler les conditions de réalisatio­n de leurs pratiques, pour des résultats toujours aussi insatisfai­sants en ce qui concerne les objectifs de santé globale, tout en requérant une part toujours plus grande des fonds publics. Pour leur part, les ressources en soins infirmiers, en supposant qu’on les augmente véritablem­ent à court terme, risquent de redevenir rapidement insuffisan­tes par rapport à une demande grandissan­te de soins plus lourds provenant d’une population vieillissa­nte et d’une absence d’interventi­ons préventive­s et globales en amont.

Il est certes urgent de porter attention à l’arbre malade que sont les services infirmiers en milieu hospitalie­r, mais il est aussi grand temps de regarder la forêt qui l’a contaminé et d’en prendre soin.

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