Des compressions pour des secteurs clés de la santé
Il faut craindre que les dénonciations actuelles des conditions de pratique des infirmières en milieu hospitalier de courte et longue durée cachent le problème de fond qui les a produites. Il est certes souhaitable et possible d’alléger et de mieux gérer l’ensemble des tâches des infirmières et autres intervenantes en soins cliniques, ce sur quoi le gouvernement Couillard semble enfin s’être éveillé. Mais si le quasi-gel des budgets en santé se maintient en 2018-2019 (à 4% d’augmentation, ce serait tout comme), les compressions générales de personnel vont se maintenir, et même devoir s’accentuer.
Il y a alors lieu de s’attendre à ce que toute augmentation significative en soins infirmiers se fasse au détriment des autres secteurs clés de la santé, notamment les services sociaux, les soins à domicile, la prévention et le soutien aux communautés locales, eux aussi fortement affectés par les compressions. Rappelons que la contribution effective de ces secteurs, en amont des services hospitaliers, est considérée comme tout aussi importante pour l’atteinte d’objectifs de santé dépassant la logique de l’accès aux médecins, comptant notamment pour beaucoup dans la réduction du recours à l’hospitalisation et aux soins médicaux.
Par-delà (et à travers) la gestion des soins hospitaliers et les questions budgétaires, c’est aussi le nouveau cadre organisationnel du réseau socio-sanitaire décrété par le gouvernement Couillard qui est en cause. Ce cadre organisationnel très problématique n’est d’ailleurs pas remis en question par la CAQ. Si on ne procède pas à une évaluation rigoureuse des effets de la contre-réforme en implantation depuis trois ans, on risque de se retrouver au même point avant longtemps.
Diminution des ressources
Ce gouvernement a imposé l’intégration et la régionalisation de tous les services publics de santé et services sociaux sous une seule et énorme entité administrative par région (les CIUSSS-CISSS), tout en diminuant de façon draconienne les ressources d’intervention et d’encadrement. Il a ainsi mis en branle un énorme et complexe chantier de changement organisationnel dont les conditions de succès sont pour le moins très incertaines. Ces mégaorganisations ont dû se constituer dans l’urgence, sans aucune consultation et aucune écoute des parties prenantes et experts du domaine, à travers des cibles budgétaires toujours déterminées par «l’optimisation» des coûts, pour des soins dominés par le curatif et par la logique hospitalière qui engrangent l’essentiel des ressources.
De telles conditions d’implantation obligent à des choix contradictoires qui ne permettant pas le respect des missions habituelles de services sociaux et de santé conformément à la loi encore en vigueur. On doit, d’une part, satisfaire les exigences d’une organisation censée livrer des «services humains» et polyvalents devant faire appel à un équilibre entre la prévention et le curatif, à l’interdisciplinarité véritable, à un sain équilibre entre le social et la santé et censée miser sur des services proches des communautés, et, d’autre part, réduire au maximum les coûts et «surcentraliser» les services autour des soins médicaux généraux et spécialisés.
Devant cette situation, on peut alors raisonnablement penser que, comme prochaine étape, le gouvernement Couillard ou son éventuel successeur caquiste pourra justifier et accroître davantage la privatisation des services de 1re ligne et des urgences mineures. C’est ce qu’il semble vouloir réaliser à travers le recours aux GMF et aux supercliniques, organisations privées par lesquelles il prétend décongestionner les urgences et les CLSC, tout en les dépouillant des ressources professionnelles nécessaires à l’exercice de leurs fonctions essentielles.
Cette stratégie qui ne mise que sur le volet curatif médical entraînera une demande accrue pour ce système de soins générateur de coûts toujours grandissants, tel un puits sans fond. On pourra alors davantage privilégier le «modèle d’affaires» reposant sur des «professionnels privés » rémunérés par les fonds publics selon le nombre d’actes facturés, sans égard à leur qualité.
Et l’histoire continuera de se répéter: nos entrepreneurs médicaux et leurs puissants regroupements professionnels seront les seuls à déterminer et à contrôler les conditions de réalisation de leurs pratiques, pour des résultats toujours aussi insatisfaisants en ce qui concerne les objectifs de santé globale, tout en requérant une part toujours plus grande des fonds publics. Pour leur part, les ressources en soins infirmiers, en supposant qu’on les augmente véritablement à court terme, risquent de redevenir rapidement insuffisantes par rapport à une demande grandissante de soins plus lourds provenant d’une population vieillissante et d’une absence d’interventions préventives et globales en amont.
Il est certes urgent de porter attention à l’arbre malade que sont les services infirmiers en milieu hospitalier, mais il est aussi grand temps de regarder la forêt qui l’a contaminé et d’en prendre soin.