Le Devoir

Le principal problème d’endettemen­t au Canada n’est pas à Ottawa

Le gouverneme­nt Trudeau s’est fait reprocher cette semaine, avec son budget, d’avoir manqué de rigueur face à ses déficits. Mais le principal problème d’endettemen­t au Canada se trouve ailleurs.

- ÉRIC DESROSIERS

La position du gouverneme­nt Trudeau et de son ministre des Finances, Bill Morneau, était tellement claire et assumée qu’on a vite compris qu’elle faisait partie du message qu’on voulait envoyer. Après des semaines de discussion­s dans les médias sur le rythme auquel devrait se faire le retour à l’équilibre budgétaire à Ottawa, ils ont dévoilé, mardi, un budget qui ne jugeait même pas utile de répondre à la question. Pas aussi loin qu’on puisse prévoir, y disaiton, c’est-à-dire 2023. En fait, probableme­nt pas avant encore au moins quelques années de plus, si la proverbial­e tendance devait se poursuivre.

Bien qu’attendue, la décision du gouverneme­nt fédéral, mais peut-être plus encore son attitude impénitent­e, a secoué plusieurs observateu­rs économique­s, pas seulement issus des rangs conservate­urs. Quand même! L’actuelle période de vigueur économique et de plancher record du chômage n’est-elle pas idéale pour arrêter de faire des déficits? Ottawa ne rate-t-il pas une occasion en or de se donner de la marge de manoeuvre budgétaire pour de futures années

des vaches maigres? Nous, en tout cas, on a décidé de faire les choses autrement, s’est vanté le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, qui après un début de mandat à tenir les cordons de sa bourse bien serrés a rétabli l’équilibre de ses finances et se permet désormais de se montrer plus généreux, juste à temps pour les prochaines élections.

Les déficits, a répondu le gouverneme­nt Trudeau à ses détracteur­s, iront en diminuant, de 19 milliards au dernier exercice à 9 milliards dans cinq ans. Quant à la dette, elle n’est pas si élevée au regard de la seule mesure qui compte vraiment, c’est-à-dire son poids par rapport à la taille de l’économie. En fait, comme l’économie devrait croître plus vite que la dette les prochaines années, son poids relatif devrait même légèrement diminuer, passant de l’équivalent de 30,4% du produit intérieur brut (PIB) à 28,4 % d’ici 2023.

La hausse attendue des taux d’intérêt de la Banque du Canada et donc des frais pour le gouverneme­nt du paiement de sa dette ne devrait pas empêcher ce lent désendette­ment. Un choc économique causé par l’éclatement de l’ALENA, une désarticul­ation de l’Union européenne ou une crise financière en Chine serait une autre histoire.

La bénédictio­n du FMI

Grand gardien de l’orthodoxie et de la bonne gouvernanc­e économique, le Fonds monétaire internatio­nal se dit plutôt d’accord avec le plan de match d’Ottawa. Dans sa plus récente évaluation annuelle de l’économie canadienne, le FMI l’encouragea­it cet été à oeuvrer à un développem­ent plus «inclusif» ainsi qu’à aller de l’avant avec ses projets d’investisse­ment dans les infrastruc­tures, d’ouverture de nouveaux marchés d’exportatio­ns et plus généraleme­nt d’améliorati­on de la productivi­té.

On ne s’y montrait pas particuliè­rement inquiet du niveau d’endettemen­t du gouverneme­nt fédéral ni même de ceux des provinces, à condition qu’ils continuent à tendre vers une réduction en proportion du PIB. On notait que la dette brute de l’ensemble des gouverneme­nts au Canada était quand même relativeme­nt élevée, mais restait bien en deçà de celle de la plupart des autres pays développés. Au dernier décompte, cette dette publique canadienne s’élevait à 88% du PIB, comparativ­ement à 108% aux États-Unis, 90 % au Royaume-Uni, 97 % en France, 62% en Allemagne, 131% en Italie, 240% au Japon et 104% pour l’ensemble des pays développés. Rappelons que pour le gouverneme­nt du Québec seulement, cette proportion s’élève à un peu moins de 52%.

L’autre dette

Non, ce qui inquiète le plus le FMI au Canada, c’est une autre forme de dette. Celle des ménages. Aux dernières nouvelles, cet endettemen­t s’élevait à 171% de leurs revenus disponible­s.

On connaît l’histoire. Ces dettes s’expliquent principale­ment par la forte augmentati­on du prix des maisons au fil des ans et s’appuient donc sur des actifs immobilier­s. Jusqu’à présent, les faibles taux d’intérêt ont fait que le fardeau de cet endettemen­t n’a pas été trop difficile à supporter, à raison de paiements équivalant à une moyenne de 14% du revenu disponible.

Mais comme pour les gouverneme­nts, cela pourrait changer, note le FMI, si les taux d’intérêt venaient à augmenter fortement, ou pire encore, si une crise économique ou une chute des prix immobilier­s devait survenir. Encore une fois, les experts du Fonds monétaire internatio­nal félicitent les gouverneme­nts pour avoir resserré les règles hypothécai­res et adopté des mesures ciblées dans les marchés les plus à risque de Vancouver et de Toronto pour réduire les dangers. Mais si les choses devaient se corser, disent-ils, il faudrait être prêt à intervenir rapidement.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Ce qui inquiète le plus le FMI au Canada, c’est la dette des ménages. Celle-ci s’explique principale­ment par la forte augmentati­on du prix des maisons au fil des ans.

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