Le principal problème d’endettement au Canada n’est pas à Ottawa
Le gouvernement Trudeau s’est fait reprocher cette semaine, avec son budget, d’avoir manqué de rigueur face à ses déficits. Mais le principal problème d’endettement au Canada se trouve ailleurs.
La position du gouvernement Trudeau et de son ministre des Finances, Bill Morneau, était tellement claire et assumée qu’on a vite compris qu’elle faisait partie du message qu’on voulait envoyer. Après des semaines de discussions dans les médias sur le rythme auquel devrait se faire le retour à l’équilibre budgétaire à Ottawa, ils ont dévoilé, mardi, un budget qui ne jugeait même pas utile de répondre à la question. Pas aussi loin qu’on puisse prévoir, y disaiton, c’est-à-dire 2023. En fait, probablement pas avant encore au moins quelques années de plus, si la proverbiale tendance devait se poursuivre.
Bien qu’attendue, la décision du gouvernement fédéral, mais peut-être plus encore son attitude impénitente, a secoué plusieurs observateurs économiques, pas seulement issus des rangs conservateurs. Quand même! L’actuelle période de vigueur économique et de plancher record du chômage n’est-elle pas idéale pour arrêter de faire des déficits? Ottawa ne rate-t-il pas une occasion en or de se donner de la marge de manoeuvre budgétaire pour de futures années
des vaches maigres? Nous, en tout cas, on a décidé de faire les choses autrement, s’est vanté le ministre des Finances du Québec, Carlos Leitão, qui après un début de mandat à tenir les cordons de sa bourse bien serrés a rétabli l’équilibre de ses finances et se permet désormais de se montrer plus généreux, juste à temps pour les prochaines élections.
Les déficits, a répondu le gouvernement Trudeau à ses détracteurs, iront en diminuant, de 19 milliards au dernier exercice à 9 milliards dans cinq ans. Quant à la dette, elle n’est pas si élevée au regard de la seule mesure qui compte vraiment, c’est-à-dire son poids par rapport à la taille de l’économie. En fait, comme l’économie devrait croître plus vite que la dette les prochaines années, son poids relatif devrait même légèrement diminuer, passant de l’équivalent de 30,4% du produit intérieur brut (PIB) à 28,4 % d’ici 2023.
La hausse attendue des taux d’intérêt de la Banque du Canada et donc des frais pour le gouvernement du paiement de sa dette ne devrait pas empêcher ce lent désendettement. Un choc économique causé par l’éclatement de l’ALENA, une désarticulation de l’Union européenne ou une crise financière en Chine serait une autre histoire.
La bénédiction du FMI
Grand gardien de l’orthodoxie et de la bonne gouvernance économique, le Fonds monétaire international se dit plutôt d’accord avec le plan de match d’Ottawa. Dans sa plus récente évaluation annuelle de l’économie canadienne, le FMI l’encourageait cet été à oeuvrer à un développement plus «inclusif» ainsi qu’à aller de l’avant avec ses projets d’investissement dans les infrastructures, d’ouverture de nouveaux marchés d’exportations et plus généralement d’amélioration de la productivité.
On ne s’y montrait pas particulièrement inquiet du niveau d’endettement du gouvernement fédéral ni même de ceux des provinces, à condition qu’ils continuent à tendre vers une réduction en proportion du PIB. On notait que la dette brute de l’ensemble des gouvernements au Canada était quand même relativement élevée, mais restait bien en deçà de celle de la plupart des autres pays développés. Au dernier décompte, cette dette publique canadienne s’élevait à 88% du PIB, comparativement à 108% aux États-Unis, 90 % au Royaume-Uni, 97 % en France, 62% en Allemagne, 131% en Italie, 240% au Japon et 104% pour l’ensemble des pays développés. Rappelons que pour le gouvernement du Québec seulement, cette proportion s’élève à un peu moins de 52%.
L’autre dette
Non, ce qui inquiète le plus le FMI au Canada, c’est une autre forme de dette. Celle des ménages. Aux dernières nouvelles, cet endettement s’élevait à 171% de leurs revenus disponibles.
On connaît l’histoire. Ces dettes s’expliquent principalement par la forte augmentation du prix des maisons au fil des ans et s’appuient donc sur des actifs immobiliers. Jusqu’à présent, les faibles taux d’intérêt ont fait que le fardeau de cet endettement n’a pas été trop difficile à supporter, à raison de paiements équivalant à une moyenne de 14% du revenu disponible.
Mais comme pour les gouvernements, cela pourrait changer, note le FMI, si les taux d’intérêt venaient à augmenter fortement, ou pire encore, si une crise économique ou une chute des prix immobiliers devait survenir. Encore une fois, les experts du Fonds monétaire international félicitent les gouvernements pour avoir resserré les règles hypothécaires et adopté des mesures ciblées dans les marchés les plus à risque de Vancouver et de Toronto pour réduire les dangers. Mais si les choses devaient se corser, disent-ils, il faudrait être prêt à intervenir rapidement.