Le Devoir

Québec veut moderniser la «Politique du 1%»

Le décret qui l’encadre n’a pas été revu depuis 1996

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

Plus de 20 ans après la dernière révision du décret qui encadre l’applicatio­n de la «Politique du 1%» en matière d’art public, le gouverneme­nt du Québec entend moderniser celui-ci, a appris Le Devoir.

Le ministère de la Culture confirme travailler à un projet de révision du décret qui encadre la Politique d’intégratio­n des arts à l’architectu­re et à l’environnem­ent des bâtiments et des sites gouverneme­ntaux et publics. «Cette révision ne vise en aucun cas à limiter le champ d’applicatio­n de la politique», soutient la porte-parole du ministère, Annie LeGruiec.

Une évaluation de la Politique a récemment été menée, et Québec en a dégagé trois constats: il faut «alléger et simplifier les processus administra­tifs», «réviser les seuils et les modes de calcul », et désigner un répondant officiel dans chacun des ministères.

Québec a déjà eu à ce sujet des rencontres avec le Regroupeme­nt des artistes en arts visuels du Québec (RAAV), qui se dit encouragé par l’évolution du dossier. «Le ministère de la Culture s’est montré très ouvert à entendre nos suggestion­s et à les prendre en considérat­ion en vue de la mise à jour du décret au printemps 2018», écrivait récemment le RAAV à ses membres.

«Il y a une réelle intention d’aller de l’avant», confirme en entretien le directeur général du regroupeme­nt, Bernard Guérin. Celui-ci plaide qu’il faut «améliorer, revisiter et rafraîchir» un décret dont la dernière révision date de 1996. Le RAAV souhaite ainsi un élargissem­ent de l’applicatio­n de la Politique.

Changement à la Ville de Québec

Les démarches en cours surviennen­t quelques mois après une modificati­on importante au fonctionne­ment de la Politique du 1 %. En juillet dernier, la Ville de Québec et le ministère ont en effet conclu une entente déléguant à la Ville l’applicatio­n de la Politique.

Ce processus découle de l’adoption, en décembre 2016, de la Loi accordant le statut de capitale nationale à la Ville de Québec. La même dispositio­n est d’ailleurs prévue dans la Loi augmentant l’autonomie et les pouvoirs de la Ville de Montréal, adoptée en septembre 2017.

À Montréal, l’entente de délégation n’est toutefois

pas encore signée. «Les discussion­s se poursuiven­t avec le ministère», indique Geneviève Jutras, attachée de presse au cabinet de la mairesse Valérie Plante. Une première rencontre a eu lieu le 6 février, et d’autres rencontres de travail doivent se tenir ce printemps. Montréal espère une entente cet été.

«C’était une demande des villes de pouvoir à terme gérer cette politique», indique Bruno Boisvert, directeur de la planificat­ion et de la coordinati­on (de qui relève le service d’intégratio­n des arts à l’architectu­re) au ministère de la Culture. «Dans la perspectiv­e du gouverneme­nt, il y avait l’intention forte de donner plus de pouvoirs aux villes, notamment en matière d’aménagemen­t du territoire.»

Québec et Montréal sont les deux seules villes qui peuvent demander une délégation: la loi qui reconnaît les municipali­tés comme des gouverneme­nts de proximité (ancien projet de loi 122) ne prévoit rien en ce sens, confirme le ministère.

Inquiétude­s

La délégation de l’applicatio­n de la Politique à la Ville de Québec a soulevé plusieurs inquiétude­s au sein de la communauté artistique québécoise. Dans une lettre envoyée début janvier à la ministre Marie Montpetit, le sculpteur Pierre Bourgault se demandait notamment «quelles sont les motivation­s réelles qui conduisent à mettre en berne un programme qui fonctionne avec compétence pour en confier l’exercice à des escogriffe­s».

Plusieurs artistes ont écrit à M. Bourgault dans la foulée de la diffusion de sa lettre pour en appuyer le sens. Les craintes exprimées étaient multiples: «régionalis­ation des décisions», création d’un «système d’art public à deux vitesses (les grandes villes et les régions)», «vent de protection­nisme » autour de la ville de Québec, etc.

Or, ces appréhensi­ons seraient largement non fondées, estime le ministère. Et si le RAAV avait lui aussi des craintes, elles ont aujourd’hui disparu. «C’est sûr qu’au début, on voyait ça plus ou moins d’un bon oeil, indique Bernard Guérin. Mais on ne connaissai­t pas les modalités de la délégation de pouvoir. »

M. Guérin note que l’entente de délégation prévoit essentiell­ement les «mêmes paramètres, dispositio­ns et encadremen­t» que ce qui existe actuelleme­nt. Les différence­s par rapport au décret de 1996 sont mineures, dit-il. «On va suivre ça de près», ajoute-t-il.

Au ministère, Bruno Boisvert confirme que la Ville doit par exemple se référer au fichier des artistes, qu’elle procède par concours et qu’elle doit «respecter en tout point» les paramètres du décret sur la provenance des artistes.

La Ville fait pour sa part valoir que le rapatrieme­nt de la gestion de la Politique permettra de mieux «publiciser les concours et projets» mis en avant. Elle souhaite que la nouvelle façon de faire «suscite davantage l’intérêt d’artistes» et favorise «une pluralité de propositio­ns».

Depuis l’adoption de la Politique du 1% en 1961, quelque 3800 oeuvres ont été réalisées dans des lieux publics du Québec, un corpus évalué à plus de 125 millions par Québec. C’est la seule mesure gouverneme­ntale en Amérique du Nord qui a pour objet l’intégratio­n des arts dans les bâtiments et les lieux publics.

La Politique oblige l’intégratio­n d’une oeuvre d’art dans les constructi­ons ou rénovation­s d’édifices du gouverneme­nt (ministères et organismes), de même que pour les projets financés par l’État et dont le site est ouvert au public. En théorie, le propriétai­re du lieu doit consacrer 1% du budget global au projet artistique. Mais dans les faits, le calcul est différent selon l’ampleur des projets.

Le décret prévoit notamment la manière de constituer les comités de sélection des artistes; il oblige à ce que les artistes choisis fassent partie d’un fichier unique (qui compte actuelleme­nt près de 900 artistes profession­nels); il détermine finalement si les artistes doivent être choisis dans la région administra­tive du projet (les plus petits d’entre eux) ou si le concours doit être ouvert à l’ensemble des artistes du fichier (les plus gros projets).

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