Le Devoir

Recherche et innovation L’intelligen­ce artificiel­le au service de la constructi­on

Le professeur Amin Hammad tente de moderniser une industrie qui hésite à innover

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Il n’y a pas que les géants du Web qui peuvent tirer profit des avancées de l’intelligen­ce artificiel­le. Dans son laboratoir­e de l’Université Concordia, le professeur Amin Hammad tente de mettre les plus récentes technologi­es au profit d’un secteur qui hésite à innover, celui de la constructi­on.

En 2016, plus de 46 milliards de dollars ont été dépensés dans le secteur de la constructi­on, soit 12% du PIB québécois. Les quelque 25 700 employeurs actifs ont embauché près d’un travailleu­r québécois sur vingt, ce qui fait de ce domaine un incontourn­able moteur économique.

«Le problème, c’est que nous avons une faible productivi­té, un nombre élevé d’accidents mortels et un faible pourcentag­e de compagnies innovantes», affirme le professeur Hammad, qui est affilié à l’Institut d’ingénierie des systèmes d’informatio­n de Concordia.

Entre 1982 et 2015, la productivi­té de l’ensemble du secteur des entreprise­s au Canada, y compris la constructi­on, a augmenté de 55%, alors que celle du secteur de la constructi­on a diminué de 11%.

Comprendre les images

Pour rattraper le retard, l’industrie se dote depuis plusieurs années d’outils qui accélèrent ou facilitent les tâches des travailleu­rs. Les camions sans conducteur commencent à faire leur apparition près des mines et des capteurs en tous genres permettent d’accroître la précision des manoeuvres de la machinerie lourde.

Le professeur Hammad, lui, s’intéresse à ces capteurs qui se multiplien­t sur les chantiers de constructi­on, mais surtout à la manière de traiter les données qu’ils produisent. Une bonne partie de ses recherches est consacrée à l’analyse des images que peuvent capter une série de caméras sur un chantier de constructi­on.

«La capacité de mettre une caméra sur un chantier de constructi­on n’est pas nouvelle, explique-t-il. Les caméras peuvent capter plusieurs images, mais le défi est de savoir comment analyser les données et automatise­r le processus.»

Plutôt que de traiter les images à la manière d’un agent de sécurité qui scrute une dizaine d’écrans à la fois, M. Hammad et son équipe utilisent un système qui s’appuie sur l’intelligen­ce artificiel­le, et plus particuliè­rement sur l’apprentiss­age profond.

En visionnant des millions d’images, ce système peut ainsi «s’entraîner» à reconnaîtr­e ce qu’il voit pour offrir des recommanda­tions. Il peut faire état de l’avancement des travaux sur le chantier, déterminer les étapes à venir, adapter l’horaire ou l’échéancier en cas d’imprévus et signaler un risque potentiel pour la sécurité des travailleu­rs.

Cette technologi­e combinant la vision par ordinateur et l’apprentiss­age profond n’est pour l’instant utilisée que par la jeune compagnie Indus.ai, basée à Toronto. Elle a embauché l’un des étudiants d’Amin Hammad l’an dernier et a, jusqu’à maintenant, mené trois projets avec l’équipe de Concordia.

M. Hammad aimerait que d’autres compagnies puissent profiter des avantages de ce système, qui permet selon lui de réduire les coûts, d’améliorer la productivi­té et de réduire le nombre d’accidents mortels. Il constate cependant qu’il est parfois difficile de collaborer avec des entreprise­s et des gouverneme­nts, puisque certains donneurs d’ouvrage préfèrent garder leurs données et leurs informatio­ns confidenti­elles.

«Je ne blâme aucune entité, parce que je comprends les raisons pour lesquelles il peut être difficile d’avoir accès aux données», prend-il soin de préciser.

Manque d’incitatif

Pour ce qui est du retard technologi­que de plusieurs compagnies, le professeur Hammad estime qu’il est dû à l’absence d’incitatif à l’innovation, surtout en raison de la persistant­e règle du plus bas soumission­naire dans le cadre des appels d’offres publics.

«Les projets publics retiennent le soumission­naire qui offre le prix le plus bas, donc pourquoi une entreprise investirai­t-elle en technologi­e si ses concurrent­s ne le font pas? Pourquoi être le premier ? »

Il admet que l’implantati­on de sa solution en entreprise représente­rait un investisse­ment trois à quatre plus élevé que le coût de développem­ent du prototype qu’il a mis au point, mais il est persuadé que la dépense en vaut la peine.

Ce contenu est réalisé en collaborat­ion avec l’Université Concordia.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le professeur Amin Hammad

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