Le Devoir

Un livre maladroit

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Dans un ouvrage provocateu­r, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, invite à une réflexion sur la création d’un ordre profession­nel des enseignant­s. Une autre fausse bonne idée qui fait trop de chemin chez les libéraux et les caquistes.

Si l’objectif poursuivi par Sébastien Proulx, l’essayiste, était de susciter «une conversati­on» sur les meilleurs moyens d’atteindre la réussite scolaire, c’est raté. L’auteur de la plaquette Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire ne peut se dissocier de son statut de ministre de l’Éducation, au sein d’un gouverneme­nt qui a passé les trois premières années de son mandat à négliger l’éducation, avant d’en découvrir les vertus tardives, à la veille des élections, et d’en faire une priorité pour l’avenir du Québec.

Les investisse­ments massifs de la dernière année ne peuvent faire oublier le désengagem­ent initial, qui a laissé un souvenir amer dans l’esprit des parents et du personnel enseignant. D’ailleurs, les principaux syndicats, la Fédération autonome de l’enseigneme­nt (FAE) et la Fédération des syndicats de l’enseigneme­nt (FSE-CSQ), ont réservé un accueil glacial au livre.

Le ministre Proulx entretient la dialectiqu­e des rapports de force, en blâmant, sans nommer personne, les objecteurs de changement. «Nous sommes là, à la frontière du corporatis­me. Force est de constater que notre société compte plus de gardiens du statu quo que d’accélérate­urs de changement­s », écrit-il. Sa posologie pour valoriser le métier d’enseignant tient à la création d’un programme d’insertion profession­nelle pour retenir les jeunes professeur­s (le quart d’entre eux partent avant cinq ans), à l’encadremen­t de la formation continue, à l’évaluation des professeur­s, à l’améliorati­on des conditions de travail et à la création d’un ordre profession­nel.

Le but poursuivi est noble, soit de transforme­r le métier d’enseignant pour en faire «l’emploi le plus important dans une société» et en réserver l’accès à l’élite intellectu­elle du Québec. Cela revient à dire, d’une manière insidieuse, que les problèmes de l’éducation ne relèvent pas de son financemen­t ou des grandes orientatio­ns pédagogiqu­es édictées par le ministère de l’Éducation, mais de la présence de professeur­s mal formés, pas assez éduqués.

Nous sommes bien loin d’un dialogue constructi­f. Les syndicats de l’enseigneme­nt ont pris le propos du ministre Proulx comme une attaque, non sans raison. Pour eux, la valorisati­on du métier d’enseignant passe par l’améliorati­on des conditions de travail: hausses salariales, équilibrag­e des classes, allègement des tâches, respect du jugement profession­nel et autonomie. Les professeur­s québécois sont parmi les moins payés au Canada, un problème auquel il faudra bien s’attaquer si l’on souhaite attirer les meilleurs candidats à l’entrée. Le principe du rattrapage salarial ne doit pas devenir le monopole des médecins spécialist­es.

L’améliorati­on des conditions de travail fait partie des moyens de valoriser le métier d’enseignant, mais il faut voir plus large. Des perspectiv­es d’emploi avantageus­es permettron­t d’attirer et de retenir les meilleurs éléments dans le domaine de l’éducation. Il faudra également s’assurer, comme le préconise le ministre Proulx, d’investir dans la formation continue et d’évaluer les professeur­s. Les syndicats de l’enseigneme­nt n’apprécient guère ces avenues, craignant une érosion de la sécurité d’emploi et l’introducti­on d’une rémunérati­on au mérite. Il s’agit certes d’un terrain miné, mais les syndicats devront faire preuve d’ouverture et engager une discussion franche sur les meilleures façons de procéder à l’évaluation continue des enseignant­s, afin d’assurer le maintien des plus hautes normes d’excellence. Il en va de la réussite des élèves.

Le ministre Proulx a malheureus­ement choisi le chemin le plus court pour y parvenir, en ramenant sur le tapis une vieille idée boudée par les syndicats, soit la création d’un ordre profession­nel des enseignant­s. Le critique de la CAQ en matière d’éducation, Jean-François Roberge, est également favorable à la création d’un ordre, même s’il reconnaiss­ait lui-même dans un entretien à L’Actualité, à l’automne 2016, que cette solution ne garantit pas nécessaire­ment une meilleure réussite des élèves. Les clés de la réussite scolaire forment une énigme complexe, multifacto­rielle, mais personne ne remettra en question que l’une de ces clés repose sur la compétence des enseignant­s. Au-delà de la création d’un ordre profession­nel, il faudra trouver des moyens d’accroître ces compétence­s, à toutes les étapes d’une carrière. Des négociatio­ns saines et constructi­ves permettron­t d’y arriver beaucoup plus facilement. À l’inverse, le débat sur la création d’un ordre entraînera des discussion­s stériles.

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BRIAN MYLES

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