Le Devoir

Les infirmière­s doivent se faire entendre

- YAN GIROUX Infirmier clinicien, étudiant à la maîtrise en administra­tion des services infirmiers à l’Université de Montréal NATALIE STAKE-DOUCET Infirmière et étudiante au doctorat ALEX MAGDZINSKI Infirmier clinicien et titulaire d’une maîtrise en scien

Récemment, la présidente de l’Ordre des infirmière­s et infirmiers du Québec a proposé deux solutions pour résoudre les problèmes quant aux conditions d’exercice profession­nel dans le réseau de la santé. Bien qu’il s’agisse d’un pas en avant, en tant qu’infirmière­s, nous aimerions proposer des solutions qui vont au-delà de la prochaine période électorale. L’augmentati­on des effectifs est importante, mais, selon nous, ne devrait pas être centrale dans le contexte de crise actuelle.

Tel qu’il est pensé et orchestré, le système de santé public et sa culture imposée de la performanc­e à tout prix rendent les profession­nels de la santé malades à leur tour. La performanc­e lors des élections est bien différente de la performanc­e qui respecte la dignité des patients en allouant des ressources nécessaire­s pour répondre à leurs besoins. Nous avons été formées pour cette raison, seulement. À cet effet, la solution des ratios patients-infirmière­s est fondamenta­le. Là où cette solution a été implantée, on a vu des diminution­s de plus de 30 % des congés de maladie.

Il faut que les infirmière­s continuent à se faire entendre. La réelle solution, pour le moment, c’est que notre société démocratiq­ue entende et voie les implicatio­ns de ces conditions d’exercices sur les travailleu­ses de la santé. L’omertà qui règne normalemen­t en santé vient d’éclater en morceaux, et ce, malgré les menaces constantes de sanctions. La loi 10 a bousculé les structures formelles qui auparavant permettaie­nt au moins un semblant d’écoute pour les infirmière­s aux conseils d’administra­tion. Le Commissair­e à la santé et au bien-être a été aboli. La vérificatr­ice générale n’évalue pas la réforme du ministre. Les sanctions pour refus des heures supplément­aires obligatoir­es continuent de fuser partout. […] Une petite parenthèse ici: a-t-on jamais vu une sanction aussi absurde et nuisible que de suspendre une infirmière pour refus d’heures supplément­aires obligatoir­es? Dans bien des cas, cette mesure ne fait qu’en créer plus. On est donc prêts à exacerber les problèmes existants seulement pour discipline­r une profession­nelle de santé ?

Lacunes évidentes du système

Si nous prétendons vivre dans une société où la liberté d’expression et la santé appartienn­ent à chacun d’entre nous, les travailleu­ses du réseau de la santé et les gestionnai­res devraient être libres de dépeindre publiqueme­nt les lacunes évidentes de ce système, et ce, sans aucune crainte. Est-ce trop demander que de vouloir une société où la défense des intérêts des patients à travers les profession­s prévaudra sur la défense des intérêts politiques et institutio­nnels ?

Avant de pouvoir trouver des solutions, il est essentiel de pouvoir nommer les problèmes. Le ministre a reconnu de peine et de misère l’existence d’un problème. Il prétend que l’ajout de postes à temps plein est la solution magique. En s’entêtant à ne proposer qu’une seule piste de solution à court terme, le ministre ne fait que prouver que soit il manque de volonté, soit il n’est pas en mesure de comprendre la complexité de la situation actuelle.

En ce sens, avec tous les problèmes que nous rapportent les infirmière­s aux quatre coins du Québec, il serait peut-être temps de commencer à réfléchir à une commission d’enquête sur l’état des soins au Québec. Le problème est clairement vaste et complexe. C’est une propositio­n qui promettrai­t d’écouter les infirmière­s, sans être menaçante, et qui, finalement, mettrait à profit les compétence­s des infirmière­s dans l’évaluation du système de santé. Une commission contribuer­ait à renverser la vapeur sur la censure et l’omertà, et nous permettrai­t, à plus long terme et de façon non partisane, d’envisager des solutions systémique­s qui incluent les acteurs du terrain. Ainsi, les travailleu­rs et les profession­nelles de la santé, de même que les patients seraient réellement entendus.

Les réseaux sociaux ne sont pas suffisants pour recueillir toute cette informatio­n qui manque cruellemen­t à notre système de santé. Il faut s’assurer que cette parole infirmière qui émerge pour la première fois soit étudiée et conservée au lieu de se perdre dans le cyberespac­e après la prochaine élection.

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