La politique en héritage
JOHN R. MACARTHUR
La nuit du 30 janvier, n’ayant aucune envie de sombrer dans la déprime, j’ai refusé de regarder en direct le premier discours sur l’état de l’Union de notre président voyou devant les deux chambres du Congrès réunies en session commune. C’est déjà assez triste d’avoir à endurer le règne Trump sans se soumettre pendant plus d’une heure aux images et aux paroles d’un fou furieux affublé d’un costume de respectabilité.
Vers 23 h, persuadé d’avoir évité la mascarade présidentielle, j’ai allumé la télévision pour jeter un coup d’oeil aux actualités. Et voilà que je suis tombé sur la réponse officielle du Parti démocrate aux mensonges et aux ricanements du chef de l’État. En plein milieu d’une crise morale et éthique peut-être sans précédent — alors que la barque nationale est menée par un ploutocrate enragé —, je me suis aperçu que le parti d’opposition avait choisi comme porte-parole Joseph Kennedy III, un aristocrate descendu d’une dynastie politique connue autant pour sa corruption morale et son arrogance que pour sa réussite dans la compétition électorale et les affaires financières. Or l’intervention de ce jeune et beau garçon m’a de nouveau jeté dans le désespoir.
À vrai dire, j’ignorais l’existence du petit-fils de Robert Kennedy, l’un des deux frères mythiques devenus des martyrs à la suite de leur assassinat. Membre de la Chambre des représentants depuis 2013, ce dernier Kennedy a profité de son héritage pour se faire élire dans l’un des fiefs familiaux du Massachusetts. Il se peut que Kennedy, apparemment doué pour les études (Stanford, école de droit de Harvard), mérite sa position comme nouvelle vedette sur la scène nationale. Son engagement dans le Peace Corps, programme fondé par son grand-oncle président, témoigne d’un intérêt pour l’amélioration du statut des pauvres, du moins en République dominicaine, et j’admire tout Américain qui se donne la peine d’apprendre à parler espagnol couramment. De plus, ce Kennedy, en se tenant loin de l’alcool, semble faire des efforts pour surmonter la tradition, souvent louche, de son arrière-grandpère financier Joseph, du président John, de son grand-oncle sénateur Edward et de son père, Joseph II, ancien représentant à la Chambre.
Toutefois, j’ai remarqué quelque chose chez Kennedy qui sonnait faux dans sa prétendue passion pour la justice et l’égalité. D’une part, les paroles de son discours, sans doute rédigé par un comité, débordaient de clichés progressistes, bien que les clichés soient conformes avec les sentiments anti-Trump partagés par toute personne saine d’esprit. D’autre part, Kennedy manquait de fougue. On aurait dit qu’il jouait le rôle d’un homme du peuple de façon peu convaincante, peut-être parce qu’il sort d’un milieu aussi privilégié que celui de Trump. Et lorsqu’il a brièvement parlé en espagnol — pour démontrer sa solidarité avec les «rêveurs» menacés d’expulsion par la politique anti-immigrants de Trump —, il m’a semblé qu’il faisait preuve d’une certaine condescendance, peutêtre inconsciente, envers ces potentielles victimes du président. Les rêveurs sont des immigrants illégaux qui sont venus très jeunes aux États-Unis avec leurs parents et qui donc, pour la plupart, parlent et comprennent l’anglais comme des Américains de souche.
Mais je pourrais excuser tout cela si Kennedy s’était montré plus combatif. Pas question avec quelqu’un qui incarne la machine démocrate, machine qui a empêché Bernie Sanders de remporter l’investiture du parti en faveur de l’apparatchik Hillary Clinton. Pour les militants démocrates, il est toujours préférable de perdre avec un Clinton plutôt que de gagner avec un Sanders, parce que le genre Clinton ne bouleverse jamais le clientélisme et la collecte de fonds de Wall Street, qui dominent le parti «populaire». Sanders, étant libre et indépendant grâce à des centaines de milliers de petits dons, pouvait, par exemple, s’opposer à l’ALENA (projet phare de Bill Clinton attaqué profitablement par Trump) sans prendre en considération les grands dons de l’oligarchie financière.
Je ne suis pas seul à me méfier du visage souriant de Kennedy. Joan Vennochi, chroniqueuse au Boston Globe, a noté récemment son refus de participer au comité électoral des démocrates afin de ne pas offenser certains collègues républicains. Kennedy a exprimé une ambivalence bizarre concernant la possible victoire des démocrates dans les élections de mi-mandat 2018. Oui, il aimerait que les démocrates retrouvent la majorité. Mais «est-ce qu’il y aurait moyen de faire cela sans cibler certains membres [républicains] avec lesquels j’entretiens des relations?… Malheureusement, certains républicains doivent perdre. Il y a moyen de gagner sans empoisonner la capacité de travailler avec des collègues républicains ».
Avec une telle stratégie, on peut prévoir une majorité républicaine jusqu’en 2020.