Le Devoir

Théâtre Marianne Dansereau dans la violence de l’adolescenc­e

Marianne Dansereau, lauréate du prix Gratien-Gélinas, présente Hamster

- MARIE LABRECQUE Le Devoir Collaborat­rice

Marianne Dansereau a fait une entrée remarquée dans la dramaturgi­e, remportant le prix Gratien-Gélinas dès sa première pièce, en 2015. L’auteure de Hamster ne minimise pas l’impact de cette récompense de la relève. «C’est sûr que ça change tout. C’est une reconnaiss­ance quasi immédiate. Des gens m’ont demandé: “Trouves-tu que tu as eu ton prix trop tôt ? ” Je dirais que non, ça me facilite la vie. »

En fait, la jeune comédienne n’avait pas terminé sa formation en interpréta­tion à l’École nationale de théâtre lorsqu’elle a déposé, au festival ancienneme­nt connu comme Zone HoMa, le projet qui allait devenir Hamster. Un autre prix du CEAD, pour le texte jugé le plus prometteur, lui avait alors permis de le peaufiner à travers un coaching avec l’auteur de son choix: Catherine Léger, dont elle aime les personnage­s féminins «imparfaits». Une denrée encore insuffisan­te sur les scènes, juge-t-elle. Marianne Dansereau se reconnaît aussi dans le côté frondeur de l’auteure de Baby-sitter. «Elle ne fait pas dans la dentelle. Je pense qu’il y a ça aussi dans mon écriture. »

Même si la dramaturge, dont on a d’abord découvert la deuxième pièce, Savoir compter, l’automne dernier à la salle Jean-Claude-Germain, écrit surtout de très jeunes personnage­s, ses textes n’ont rien d’édulcoré. L’adolescenc­e l’intéresse parce que c’est la période où l’on commence à s’interroger sur qui on est, qui on veut devenir et quels choix poser pour s’inscrire dans le monde. « Cette première lucidité, je la trouve touchante et déterminan­te. Et mes pièces ne sont pas pour les adolescent­s, elles sont universell­es parce que ce questionne­ment fondamenta­l, il nous suit toute notre vie. Ma prochaine oeuvre traitera encore de jeunesse, mais par le biais de personnage­s adultes, qui parlent de jeunes qui ne sont pas présents sur scène.» Cette troisième pièce portera sur notre manque d’empathie.

Pour Marianne Dansereau, la brutalité fondamenta­le qui existe chez l’être humain tend à être plus franche avant l’âge adulte. «La vie est dure, de façon frontale, au secondaire. Après, on dirait qu’on s’assagit un peu, mais aussi, j’ai l’impression qu’on maquille davantage cette violence.» Ses deux premières pièces explorent notamment la violence au féminin. «Je pense qu’on ne la soupçonne pas assez, en général. Et c’est pourquoi elle m’intéresse autant. Elle est tellement réprimée, et pas assumée. On pense que les actes de barbarie sont réservés aux gars. »

Une chute terrible

Créée à La Licorne, dans une mise en scène de Jean-Simon Traversy, qui dirige un quintette de comédiens fraîchemen­t diplômés (Pascale Drevillon, Guillaume Gauthier, Zoé Girard-Asselin, Tommy Joubert et Zoé Tremblay), plus le vétéran Igor Ovadis, Hamster est campée à Boisbriand. Un choix que son auteure revendique fièrement. «Je trouve qu’il y a un gros préjugé par rapport aux oeuvres sur la banlieue. On pense toujours que ça va porter sur l’American Dream, sur les apparences… Mais non. C’est un endroit, la banlieue, pas un cliché ! »

Si la langue y est moins crue que dans Savoir compter (qui a choqué certains spectateur­s), les deux pièces présentent d’indéniable­s parentés. La dramaturge y déploie un univers choral, tragi-comique, un récit intrigant où les liens entre les personnage­s s’éclairent à la fin et qui mène vers une chute inattendue. Marianne Dansereau a aussi la particular­ité de baptiser sa faune par des périphrase­s, au lieu de noms. Pour ajouter à l’impression de portrait de groupe, les personnage­s sont définis par une action ou un détail, tel La Fille Qui A Une Jupe Trop Courte Selon Le Règlement. «C’est une façon de les rendre à la fois anonymes et comme tout le monde. Et mes personnage­s ne se nomment jamais entre eux. Ça [renforce] l’idée que chacun est dans sa solitude. Personne ne se connaît vraiment.»

Aimer et être aimé

Dans cette banlieue plutôt désertée, durant une nuit, on suit notamment une adolescent­e qui déverse sa peine amoureuse sur son seul interlocut­eur: un hamster. Jusqu’à la révélation, terrible, qui exprime « un désespoir qui nous dépasse ».

Comment garder intactes nos relations de couple, comment ne jamais être quitté? se demande la jeune fille. « Cet idéal-là, on le ressent fois mille plus fort à l’adolescenc­e. Et ça fait tellement mal quand il est brisé. Et il l’est nécessaire­ment [à cet âge-là].» La pièce pose aussi la question: «Suisje capable d’aimer, si on ne m’aime pas ? »

Malgré son dénouement arrache-coeur, Hamster est imprégné d’humour. Un ingrédient très important pour Marianne Dansereau, qui voit la vie comme un «parfait mélange» de comédie et de drame. L’artiste pose sur le monde un regard qui lui permet d’en voir l’absurdité. «Dans le quotidien, je collection­ne les moments loufoques. Et les situations étranges. »

La dramaturge définit son oeuvre comme un « théâtre de personnage­s». C’est là sa force, estime-t-elle. Comprendre ses semblables est le moteur de son écriture. «L’être humain est le plus grand paradoxe. Il est insaisissa­ble. C’est pourquoi on aime tant écrire, je crois: on essaie de le cerner. Mais il nous échappe… »

«Mes pièces ne sont pas pour les adolescent­s, elles sont universell­es parce que ce questionne­ment fondamenta­l, il nous suit toute notre vie»

HAMSTER Texte de Marianne Dansereau, mise en scène de Jean-Simon Traversy, une production Le Crachoir, en codiffusio­n avec La Manufactur­e, à La Licorne, du 6 au 24 mars.

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GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR Marianne Dansereau n’avait pas terminé sa formation en interpréta­tion à l’École nationale de théâtre lorsqu’elle a déposé, au festival Zone HoMa, le projet qui allait devenir Hamster.

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