Sauvetage allemand
FRANÇOIS BROUSSEAU
Bien sûr, l’Italie aux vingt partis politiques, ingouvernable et émietté, on connaît. Elle a voté hier, et nul ne sait si elle pourra trouver une solution à la fois stable et légitime à la crise de la représentation politique.
Mais que le même danger guette aujourd’hui un pays comme l’Allemagne, voilà qui étonne davantage. Pourtant, ce danger est réel.
Coïncidant hier avec l’inextricable scrutin italien, on a annoncé à Berlin le résultat de la consultation interne au Parti social-démocrate (SPD), dont l’ensemble des membres vient de dire «oui» (à 66%) à une nouvelle Grosse Koalition avec les conservateurs d’Angela Merkel.
Selon les perceptions, ce vote peut soit (1) accentuer la fêlure entre l’État et la société, et l’écoeurement envers la politique traditionnelle, visible un peu partout en Occident; soit (2) redonner foi dans la démocratie représentative… en la relançant, cette fois, non seulement en Allemagne, mais à l’échelle de l’Europe.
D’abord l’hypothèse pessimiste, et plausible: en sauvant du naufrage deux formations usées et déclinantes, le SPD et la CDU-CSU (conservateurs chrétiens d’Allemagne et de Bavière), pour concocter de justesse une majorité arithmétique, la vieille élite s’accroche au pouvoir, de façon pathétique. Et ne fait que reculer le moment de son éclatement.
Souvent à leur corps défendant, les simples membres du SPD (un demi-million de personnes) ont voté aux deux tiers en faveur de la reconduction de la Grosse Koalition. Ceux de la « vraie gauche », qui ont voté « non », disaient en substance: «Retournons dans l’opposition. Retrouvons nos valeurs de gauche, oubliées dans les calculs tactiques et le culte du pouvoir. Nous y avons laissé notre âme et notre capacité à changer la société. »
Ils faisaient valoir qu’en plus d’être le dindon de la farce, le SPD de Martin Schulz avait accentué sa chute en cautionnant des politiques de droite. Le grand parti de la gauche allemande, fondateur du socialisme démocratique au XXe siècle, a connu un creux historique aux élections de septembre 2017, avec 20% à peine des suffrages exprimés.
Les derniers chiffres sont accablants, et pas seulement pour le SPD. Le 24 septembre dernier, la formation de Mme Merkel était passée de 42% à 33% des suffrages exprimés, tandis que le SPD chutait de 26% à 20%. Total: 53% pour les deux «vieux partis» réunis, jadis opposés et qui gouvernaient la plupart du temps en alternance… devenus aujourd’hui des bouées de sauvetage qui s’accrochent l’une à l’autre.
La Grosse Koalition de la cuvée précédente (2013) représentait encore 65% des voix. Une première alliance du genre, en 1966, avait totalisé… 89% des suffrages exprimés! Ces chiffres, ainsi que l’explosion du nombre de partis (sept formations aujourd’hui représentées au Bundestag, dont le parti anti-migrants Alternative für Deutschland, en pleine ascension), traduisent de façon cruelle l’émiettement partisan et le déclin de la politique traditionnelle.
Mais il y a une autre façon, plus optimiste, de voir ce vote et le retour de la coalition au centre. Car l’exercice auquel vient de se livrer le SPD a donné lieu à une mobilisation démocratique sans précédent.
Le nombre de ses membres a augmenté ces derniers mois de 400 000 à 500 000 (environ), après les recrutements de la gauche en faveur du «non». Idem pour les conservateurs, qui ont vu récemment la chute de leurs effectifs stoppée. Sans compter le militantisme des plus petits partis (y compris aux extrêmes), relancé par les débats sur l’Europe, l’économie, l’immigration et l’identité nationale.
L’idée, en Allemagne, d’un militantisme utile dans les partis politiques, n’est pas morte, et n’est pas inspirée uniquement par le carriérisme. Cette nouvelle Grosse Koalition, dont Angela Merkel avait désespérément besoin pour terminer «son oeuvre» et passer la main, fera cette fois la part belle aux sociaux-démocrates. Ils contrôleront notamment, en matière de ministères, les Finances, le Travail et les Affaires étrangères.
Cette sortie de crise (six mois sans gouvernement) sera bien reçue à Paris et ailleurs en Europe. L’idée du président Emmanuel Macron, d’une relance de l’Union européenne par un véritable leadership franco-allemand, des programmes économiques communs et une meilleure coordination sur les migrations, si elle reste loin d’être réalisée, vient de recevoir un coup de pouce important.
François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à Ici Radio-Canada.