Le Devoir

Québec doit retirer le projet de loi 164 qui restreint l’accès à l’informatio­n

- JEAN PARÉ Président de la commission d’étude sur l’accès à l’informatio­n gouverneme­ntale et la protection des renseignem­ents personnels dont le rapport a été déposé le 25 mai 1981 à l’Assemblée nationale PAULE BEAUGRAND- CHAMPAGNE Présidente du Conseil

Le lendemain de son élection, en avril 2014, le premier ministre Philippe Couillard s’engageait à diriger « le gouverneme­nt le plus transparen­t que les Québécois auront eu, avec une divulgatio­n proactive de renseignem­ents de toutes sortes » . Évoquant la nécessaire transparen­ce entourant « les allocation­s de dépenses », il soulignait que les pays qui ont adopté cette approche ont vu « le rétablisse­ment du lien de confiance entre la population et nos institutio­ns publiques ». M. Couillard promettait ainsi d’élargir la portée de la Loi d’accès à l’informatio­n.

Il ne l’a jamais fait. Aujourd’hui, après avoir perdu une cause importante devant la Commission d’accès et ses pourvois en appel devant trois tribunaux supérieurs, son gouverneme­nt s’apprête à changer la Loi pour en restreindr­e la portée. Il veut agir vite, sans consultati­on publique et de façon rétroactiv­e. Les changement­s, déposés en février, visent à rendre caduques les décisions de la Commission que vient de valider la Cour d’appel et qui obligent les ministères à divulguer en par tie les mémoires au Conseil des ministres.

En 2009, Daniel Tremblay, jour naliste à l’émission Enquête de Radio-Canada, demandait à quatre ministères de lui remettre les mémoires et divers documents concernant les dédommagem­ents offerts aux orphelins de Duplessis et à d’autres enfants victimes d’abus dans des établissem­ents publics au siècle dernier. Les orphelins étaient les pupilles de l’État que le gouverneme­nt de Maurice Duplessis avait qualifiés de malades mentaux pour obtenir plus d’argent du gouverneme­nt fédéral. Pendant des années, des milliers d’enfants internés ont subi les pires sévices, sexuels et autres. Certains d’entre eux ont été soumis à des expérience­s médicales comme des électrocho­cs ou des injections de médicament­s. Au début des années 2000, sous la pression publique, le gouverneme­nt a proposé de 15 000 $ à 60 000 $ aux survivants. En contrepart­ie, ces derniers devaient s’engager à ne déposer aucune poursuite en dommages.

À titre de comparaiso­n, les autochtone­s ont reçu des indemnisat­ions atteignant 250 000 $ pour les abus subis dans les pensionnat­s. Daniel Tremblay estime que les Québécois ont le droit de savoir ce qui a incité des ministres à élaborer des offres de loin inférieure­s aux orphelins de Duplessis. Depuis le dépôt de ses requêtes en accès, en 2009, le nombre de survivants est tombé de 3000 à quelques centaines.

Rejet des demandes

Les quatre ministères en cause, dont le Conseil exécutif, ont rejeté ses demandes d’accès. Le procureur général du gouverneme­nt a plaidé que tous les documents requis, notamment les mémoires au Conseil des ministres, étaient entièremen­t confidenti­els. C’était faux. En 2013, la Commission d’accès à l’informatio­n a rendu trois décisions ordonnant au gouverneme­nt de transmettr­e à Daniel Tremblay une liasse de documents, comprenant la partie accessible d’une quinzaine de mémoires. Le procureur général a contesté ces décisions devant la Cour du Québec, puis devant la Cour supérieure, et enfin devant la Cour d’appel. Il a perdu devant toutes ces instances.

Dans une cause précédente, la Cour d’appel avait statué que « le gouverneme­nt et ses organismes ne peuvent plus désormais se réfugier derrière le silence administra­tif ou le droit au secret pour, d’une part, refuser de dévoiler des informatio­ns même sensibles et, d’autre part, éviter de subir la responsabi­lité de leurs décisions. » Dans un jugement unanime rendu en décembre, la Cour d’appel a refusé d’infirmer les décisions de la Commission d’accès rendues dans la cause de Daniel Tremblay. La pro- cureure générale s’adresse maintenant à la Cour suprême pour les faire casser.

Mais le gouverneme­nt craint, avec raison, une ultime défaite devant le plus haut tribunal du pays. En février, la ministre Kathleen Weil, responsabl­e de l’Accès à l’informatio­n, a déposé le projet de loi 164 changeant la Loi d’accès afin d’empêcher la transmissi­on de tout mémoire adressé au Conseil des ministres avant l’expiration d’un délai de 25 ans. Les parties jusqu’ici officielle­ment accessible­s de ces mémoires ne le seraient plus. Pendant un quart de siècle, il serait impossible de savoir sur quelle base le gouverneme­nt a pris ses décisions, et cela dans tous les domaines. Le gouverneme­nt veut adopter le projet de loi à la sauvette, sans donner l’occasion au public d’en débattre en commission parlementa­ire.

Ces changement­s affaibliss­ent la Loi d’accès alors qu’elle mériterait plutôt d’être renforcée, 37 ans après son adoption. Ils contrevien­nent à la volonté de transparen­ce que manifestai­t le premier ministre René Lévesque quand il avait mandaté l’un des cosignatai­res de ce texte, le journalist­e Jean Paré, d’en concevoir les fondements, en 1981. Il y a deux ans, le rapport de la commission Charbonnea­u rappelait de son côté que « la transparen­ce est à la base du fonctionne­ment de toute société démocratiq­ue, notamment parce que les élus doivent répondre de leurs actes devant la population ».

Nous demandons à M. Couillard de respecter les engagement­s annoncés lors de son élection : le gouverneme­nt doit retirer le projet de loi 164, annuler le pourvoi en appel devant la Cour suprême, ordonner aux ministères concernés de remettre les documents nécessaire­s à Daniel Tremblay et, surtout, élargir et non restreindr­e la portée de la Loi d’accès.

 ?? JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE ?? Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard
JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard

Newspapers in French

Newspapers from Canada