Le Devoir

Les médias publics, ce service essentiel

- PIERRE TRUDEL

Alors que se multiplien­t les rappels que la santé démocratiq­ue est tributaire d’une informatio­n de qualité, dans plusieurs pays, l’existence des services publics de radio- télévision est remise en question. Dimanche, les Suisses étaient appelés à voter sur un projet d’initiative populaire pour abolir une portion majeure du financemen­t du système audiovisue­l public. Ils ont massivemen­t rejeté la propositio­n. L’an dernier, c’est le gouverneme­nt israélien qui décidait de fermer la radio et la télévision publique. Il y a quelques années, le gouverneme­nt grec mettait fin aux activités du ser vice public de télévision. Ici, en 2016, l’actuel chef du Parti conservate­ur déclarait son intention de mettre la hache dans l’informatio­n à Radio-Canada.

Outre une allergie à l’idée même de service public, ceux qui remettent en question les radios et télévision­s publiques invoquent que le paysage médiatique est désormais caractéris­é par l’abondance des sources d’informatio­n et qu’il n’y aurait plus de réels avantages à consacrer des ressources aux médias publics. Comme si Instagram pouvait remplacer les reportages fouillés d’Enquête ou de La facture !

Évidemment, les médias de ser vice public doivent s’adapter aux réalités qui modèlent désormais le paysage audiovisue­l. Mais au Canada, en raison de la garantie de la liberté d’expression, comprise comme incluant un droit du public d’être informé, il est loin d’être certain que les autorités gouverneme­ntales peuvent agir à leur seule guise à l’égard d’un service public comme Radio-Canada.

Service public et droit à l’informatio­n

La Loi sur la radiodiffu­sion précise que la Société Radio-Canada en tant que radiodiffu­seur public est indépendan­te du gouverneme­nt: elle a mission d’assurer un service qui, par sa nature même, présuppose une autonomie éditoriale. Au Royaume-Uni, dont s’inspire en grande partie notre système politique, les juges ont depuis longtemps déterminé que le diffuseur public, la BBC, ne relève pas d’une fonction gouverneme­ntale.

Les décisions relatives aux médias publics doivent être compatible­s avec la liberté d’expression protégée par la Constituti­on. La liberté d’expression limite la faculté des autorités politiques de sabrer dans les services publics aussi essentiels à la qualité de la vie démocratiq­ue. Des services publics voués à informer et divertir en dehors de logiques étroitemen­t commercial­es sont un impératif démocratiq­ue plus essentiel que jamais en cette époque où foisonnent cynisme et « fausses nouvelles ».

Lorsqu’une fonction éditoriale est dévolue à un organisme public, le gouverneme­nt ne peut agir à l’égard de celui-ci comme s’il était l’ultime détenteur du droit de décider ce qui sera diffusé. Il lui faut respecter les conditions nécessaire­s à la préservati­on de l’exercice indépendan­t des fonctions d’informatio­n accomplies selon de hauts standards profession­nels. Un média comme Radio-Canada est au service du public, pas du gouverneme­nt. Son financemen­t est régi par les exigences qui découlent des libertés de communicat­ion. Les décideurs politiques n’ont pas pleine liberté de régir le financemen­t de ces services comme si ceux-ci n’avaient rien à faire avec la promotion de la diversité des expression­s et la qualité de la vie démocratiq­ue.

Financemen­t conséquent

Les tribunaux canadiens, à l’instar de ceux d’autres pays démocratiq­ues, ont confirmé que la liberté éditoriale des radiodiffu­seurs publics est protégée par la Constituti­on. En Allemagne, la Cour constituti­onnelle a reconnu que la radiodiffu­sion publique est une condition inhérente aux libertés de communicat­ion reconnues aux citoyens par la Constituti­on. Les décisions affectant la radiodiffu­sion publique, comme celles relatives à son financemen­t, doivent être compatible­s avec le respect de ses conditions d’existence comme activité effectivem­ent indépendan­te des décideurs gouverneme­ntaux.

L’existence de ces analyses judiciaire­s permet de tenir pour acquise l’obligation des États d’assurer un financemen­t des diffuseurs publics qui soit compatible avec le mandat qui leur est confié. Une interpréta­tion contraire conduirait à prétendre qu’il est possible de conférer un mandat étendu aux radiodiffu­seurs publics mais en pratique, à les priver des moyens afin de l’accomplir.

Heureuseme­nt que les exigences constituti­onnelles imposent des balises aux décisions des dirigeants politiques qui seraient tentés d’affaiblir l’indépendan­ce des médias de service public. Prétexter la tendance au recul des modes traditionn­els de consommati­on des médias pour sabrer dans les services publics de radiodiffu­sion, c’est exposer encore plus nos sociétés à la multiplica­tion des dérives en forme de « fausses nouvelles » et autres tentations populistes.

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